8 Bit Cinema est une série qui a évolué sur la chaîne YouTube Cinefix entre 2013 et 2017. Elle reprend plusieurs films favoris du public (films dits mainstream, voire « cultes ») ayant connu un grand succès au box-office. L’intérêt pour la spectatrice est d’observer comment l’univers cinématographique des films se transpose dans une esthétique de jeu vidéo 8 bits. On parle en anglais de versions de films « gamified ».

La chaîne Cinefix se définit comme « the ultimate destination for true movie buffs & filmmakers on YouTube » et publie du contenu relié au cinéma américain (listes, tops, panoramas, sélections, etc.). 8 Bit Cinema est la seule série de cette chaîne qui s’intéresse aux liens entre le rétro, les jeux vidéo et le cinéma.

Extrait de Pulp Fiction (1994) en 8 bits

Contexte et making-of de la série

8 Bit Cinema présente deux types d’épisodes, comme l’explique son créateur David Dutton[1]. Le premier est celui où l’on tente de faire en sorte que le film original s’adapte et imite le mieux possible des jeux préexistants. Un bon exemple est Blade Runner (1982), qui a été adapté selon l’univers du jeu vidéo ShadowRun, leur atmosphères respective affichant des similarités esthétiques. Pour sa part, l’univers narratif de Kick-Ass (2013) a été transposé au sein de l’esthétique de la série de jeux Double Dragon. Le second type d’épisode est celui où il n’est pas possible d’adapter un film à un jeu préexistant : il faut alors inventer un nouveau jeu pour le film en question. Par exemple, la version 8 bits de Pulp Fiction (1994) est le produit de plusieurs modèles de jeux qui, à l’image du film, possèdent une narration non linéaire ou, en d’autres mots, qui entremêlent plusieurs histoires.

L’intérêt de 8 Bit Cinema est donc de trouver des adéquations visuelles, c’est-à-dire des similarités esthétiques entre les univers cinématographique et vidéoludique, et de les mettre en valeur. Il revient à la spectatrice (ou à la joueuse) de comparer le film à son adaptation en jeu vidéo : la spectatrice observe ce qui a été modifié, laissé de côté ou plutôt amplifié et mis de l’avant : scènes cultes, moments charnières, détails du film…

Pluralité des approches pour créer les films en jeux 8 bits

Selon le créateur de 8 Bit Cinema, il faut prendre un jeu préexistant, puis le remixer, pour qu’il corresponde à l’univers du film qui sera adapté – par exemple Mega Man transformé en  Iron Man (2008). Il ne faut pas non plus ignorer les détails (formes, couleurs, éléments symboliques représentés, etc.), pour effectuer un bon travail en 8 bits : il faut en reproduire suffisamment pour que la spectatrice/joueuse reconnaisse globalement les univers présentés. Il faut, de plus, transformer la bande son originale des films en chiptunes.

Contenu et modalités du rétro

La popularité et le facteur « culte » des films ont été pris en compte lors de la sélection des films à adapter en format 8 bits : on trouve entre autres des films comme Titanic (1997), Jurassic Park (1993), Terminator II (1991), Pulp Fiction (1994), Halloween (1978), Ferris Bueller’s Day Off (1986), A Clockwork Orange (1971), Happy Gilmore (1996), Scarface (1983), The Matrix (1999), Se7en (1995), etc. (Il y en a au total 68). Ces films pour la plupart « emblématiques » des années 1980 et 1990 sont retravaillés, d’une part, pour éveiller chez la spectatrice un sentiment de nostalgie lié à ces décennies particulières et, d’autre part, pour renforcer la nostalgie propre au format 8 bits lui-même, l’âge d’or de cette technologie s’étalant de 1983 à la fin des années 1980. Il y a ainsi une hybridité et une corrélation au niveau des nostalgies propres aux médiums.

On note toutefois que certains des films transformés en version 8 bits négocient un rapport à la nostalgie, soit à travers leur thématique, soit par le fait qu’ils sont des reboots ou des remakes, ou encore parce qu’ils développent une réflexion technostalgique. TMNT 2&: Out of the Shadows (2016), Star Wars: The Force Awakens (2015), Mad Max: Fury Road (2015) et Guardians of the Galaxy (2014) en sont des exemples récents. On perçoit ainsi la série 8 Bit Cinema comme ayant une dimension réflexive certaine.

Cette dernière propose également un effet de sélection cinéphilique, dans la mesure où certaines vidéos sont présentées comme des programmes spéciaux (par exemple « A Tribute to James Horner »).

De la même façon, on remarque que les scènes adaptées en 8 bits sont fréquemment les plus mémorables, voire emblématiques, des films sélectionnés pour l’adaptation, qu’on pense à la danse de Vincent Vega et Mia Wallace dans Pulp Fiction ou à la phrase « I am the king of the world » de Jack dans Titanic. La spectatrice nostalgique souhaite voir comment ces séquences cultes seront adaptées en format 8 bits et avec quel degré d’inventivité vidéoludique cela sera fait.

Exemple ci-dessous : Titanic (James Cameron, 1997)

On remarque un degré d’humour dans l’adaptation, notamment présent dans les scènes « cultes ». La fameuse scène du baiser de Jack et Rose est entre autres rehaussée d’un « Romance Meter Full » et devient humoristique lorsque Jack peint Rose de façon hautement pixellisée. Cet aspect réitère la dimension autoréflexive du projet.

Modalités du rétro

On retrouve au sein de la série 8 Bit Cinema une technologie ainsi qu’une esthétique visuelle 8 bits réutilisées et revampées. Le rétro et la nostalgie ne sont pas questionnés explicitement dans les thématiques, bien que l’autoréflexivité permet de créer ce discours de manière sous-jacente au sein des vidéos YouTube (l’aspect parodique est bien marqué). Dans la série, on dénote également une intermédialité déterminante : les nostalgies vidéoludique et cinématographique se comprennent l’une en fonction de l’autre. Leur combinaison augmente de manière significative la portée nostalgique globale du projet esthétique. Est ainsi intrinsèquement travaillée à travers 8 Bit Cinema l’idée sympathique du « old school makeover ».

Réception

[À propos de l’adaptation de Spirited Away de Hayao Miyazaki] 8 Bit Cinema’s portrayal of Miyazaki’s magnum opus captures the hectic world of magic and spirits that he created almost fifteen years ago. A tiny Chihiro, the heroine of Spirited Away, side-scrolls through a world created with loving faithfulness to the original Oscar-winning movie. Each trial that Chihiro faces in Spirited Away becomes a mini-boss or a puzzle in its 8-bit iteration, and No Face is just as creepy as it chases Chihiro throughout the bath house. The frenzied soundtrack calls back to the stressful late-night boss battles of NES games as it pushes Chihiro along her epic journey, replaying the powerful themes of the original score.

https://killscreen.com/previously/articles/explore-dense-world-spirited-away-8-bit-theater/

8 Bit Cinema applies the classic adventure game treatment to Se7en.

https://news.avclub.com/8-bit-cinema-applies-the-classic-adventure-game-treatme-1798271099

The Cinefix channel says copyright is not an issue because the creations fall under the umbrella of “parody” which is included in the “fair use” clause of US copyright law. The short video game clips appeal because of a combination of nostalgia and artistic merit, Cinefix lead programmer Michael Cruz told the BBC.

« Youtube viewers flock to 8-bit movie remakes », https://www.bbc.com/news/technology-32873568.

The incredible thing about Dutton’s videos—which take the form of paleo Let’s Play videos for videogames that never existed, but which might have been made as video games if these movies had existed in the golden age of home games consoles—is just how much fun the nonexistent games appear. Watching these clips makes me want to exist in the Dutton Continuum, and to retreat into a cheeto-dusted haze of thumbsticks and four-way controllers for an entire wasted youth. 

« 8 Bit Cinema : great films reimagined as classic videogames », https://boingboing.net/2016/08/01/8-bit-cinema-great-films-reim.html.

La première chose qui frappe, ce sont bien sûr les graphismes adaptés en 8-bit (parfois proches du 16-bit) qui rappelleront probablement de nombreux souvenirs aux gamers. Ajoutez à cela une musique réadaptée qui transformera les thèmes cultes du cinéma en version old school qui sent bon la borne d’arcade. Le choix des films est très large et Kick Ass côtoie Shining, Star Trek et Forrest Gump, il y en a pour tous les goûts. Comme dit précédemment, chacun de ces films sera agrémenté d’un gameplay adapté.

« 8 Bit Cinema : quand le 7e art rencontre le jeu vidéo », https://www.presse-citron.net/8-bit-cinema-quand-le-7eme-art-rencontre-le-jeu-video-video/.

Notes

[1] Les informations au sujet du making-of de la série sont tirées de la vidéo YouTube « Sneak Peeks and Techniques: Behind the Scene of 8-BIT Cinema », 8 juillet 2014. Ma traduction.