Présentation

Tout comme un large éventail d’applications qui reprennent de manière similaire le mode opératoire et l’esthétique d’anciens modèles de caméras[1], l’application pour iPhone KOD Cam (2020, Shuiquan Shen) imite la prise photographique des caméras jetables classiques de Kodak.

Contexte

Dans un article du Los Angeles Times daté de 2019, Susan Spillman relatait la réémergence des caméras jetables ainsi que l’engouement qu’elles avaient généré chez les jeunes milléniaux et la génération Z. Ces caméras « [let] you capture the imperfect in a seemingly perfect way with just one shot. I use my disposable when I want to capture my friends in their most candid, spontaneous moments[2]  ». Certaines applications actuelles tentent donc de recréer « l’expérience photographique » de ces caméras d’époque, l’idée de tenir un objet tangible qui nécessite parfois ses deux mains, ainsi que la poétique de l’accident et du dévoilement que la photographie analogique impliquait : « not knowing how your photos are going to turn out until they’re processed is the most fun part[3] ». Un article de 2021 du New York Times rapportait d’ailleurs que l’application Dispo, qui imite la prise de photographies sur une caméra jetable et ne permet de voir les résultats que le lendemain, se targuait d’être le prochain Instagram : l’attrait majeur de l’application était, selon son créateur, la promesse d’un antidote à l’obsession de prendre « la prise parfaite[4] ».

Évidemment, d’autres produits offraient ce genre d’expérience bien avant Dispo. KOD Cam est essentiellement une application à partir de laquelle l’usager peut faire l’expérience de la prise de photographies à la manière d’une caméra jetable, mais tout en bénéficiant de certains avantages de la photographie numérique : en l’occurrence, la possibilité de voir ses images et d’appliquer des filtres sur elles avant de les télécharger ou de les imprimer. En effet, KodCam recrée, à la manière d’un skeuomorphe, la caméra jetable de Kodak emblématique du monde prénumérique. « You might lose focus or the photo might shake, but there is a beauty in [that] », comme l’écrit la compagnie.

Il est question, ici, d’un retour stylistique qui est évidemment incomplet : on montre la caméra de derrière, sans les instructions qui viennent normalement avec la caméra, et on reprend la palette chromatique (le jaune FAB 617 et le rouge e30613, si reconnaissables) ainsi que le logo de Kodak[5]. La disposition n’est pas identique, puisque bien sûr il n’est pas possible de retourner la caméra pour en voir le devant : par exemple, le bouton du flash, reconnaissable par son icône d’éclair qui se trouve normalement devant l’appareil, se retrouve cette fois derrière, tandis que le déclencheur et le compteur de poses restantes, normalement positionnés sur le dessus de la caméra, se retrouvent à l’arrière dans l’application. Certains aspects de la caméra jetable Kodak ont toutefois été recréés dans l’application, tels que le bruit du mécanisme après chaque prise photographique, le son du flash qui charge, le grain du matériau de la caméra et même certains avertissements habituellement présents sur l’objet (par exemple « Ne pas jeter », « recyclable », « inflammable »); voilà plusieurs marqueurs qui tentent de recréer l’expérience des caméras jetables. Un texte présent sur la « caméra » virtuelle affirme également que KOD Cam promet de procurer le même plaisir qu’une vraie caméra Kodak jetable, tout en étant plus simple apparemment que la caméra dont elle est l’avatar :

Does [sic] not include complicated operations such [sic], like the past film cameras, taking careful look [sic] at the surroundings and taking each shots carefully would bring you the special experiences and sensational outcomes you might lose focus or the photo might shake, but there is a beauty in themselves.

KOD Cam souhaite également recréer l’expérience de la prise d’images avec des Kodak jetables : par exemple, la prise de vue limitée par le viseur et l’impossibilité de zoomer. Toutefois, il manque une dimension profondément tactile à l’application KOD Cam, puisque tous les gestes sont réduits à des coups du doigt sur un écran. En comparaison, les caméras jetables d’origine demandaient qu’on les retourne (par exemple pour un selfie), qu’on tourne leur manivelle de rembobinage, qu’on appuie sur leur déclencheur, etc. De plus, avec KOD Cam, il manque l’indétermination des images : dans le cas de la KD Pro, lorsque l’usager n’est pas heureux du résultat, il peut faire redévelopper ses images.

Le retour stylistique se poursuit jusque dans le « développement » des images : les images prises avec l’application apparaissent alors avec des effets rétro. Ainsi, des photographies réalisées avec la KOD Cam reprennent les bandes blanches des photographies Polaroid et apposent des citations écrites « au feutre » ( comme « Live laugh love »). Aussi, la plupart des photographies résultantes semblent avoir développé des défauts (des égratignures, des glares, des flares ou les deux, des polarités, etc.), de manière aléatoire. Deux photos, prises successivement dans les mêmes conditions de lumière, peuvent ainsi générer des images différentes.

Images obtenues avec l’application KOD Cam

Notes

[1] La liste est longue : on pense notamment à Hipstamatic, 1998 Cam –1998 Cam – Vintage CameraVintage Camera, Huji Cam, etc.
[2] https://www.latimes.com/lifestyle/story/2019-08-26/disposable-cameras-make-a-comeback-among-millennials.
[3] Ibid.
[4] https://www.nytimes.com/2021/02/25/style/dispo-david-dobrik-disposable-camera-app.html.
[5] Mentionnons d’ailleurs que le logo original de Kodak est réapparu en 2016. Comme on l’écrit dans un article de Wired : « “It’s a modern nostalgia”, says Dany Atkins, Kodak’s brand director. The new/old logo expresses that instantly. » Voir https://www.wired.com/2016/10/kodak revives-iconic-logo-gives-little-twist/.