Authenticité, obsolescence et la renaissance de l’analogique chez Kodak : la « nouvelle caméra Super 8 »

La renaissance de l’analogique

Dans cette « piste » se retrouvent un ensemble de réflexions qui concernent l’après-vie ou la survivance paradoxale de certaines technologies analogiques considérées, dans nos environnements dominés par le tout-numérique, comme obsolètes. Cette question est débattue depuis de nombreuses années par des chercheurs tels que Charles R. Acland qui a inventé la notion de « média résiduel[1] », Laura Marks qui a parlé de « analog nostalgia[2] » ou encore Garnet Hertz et Jussi Parikka qui ont formulé l’idée du « zombie media[3] ». Il y a quelque temps, Ghislain Thibault et Philippe Theophanides ont ressuscité dans le domaine des médias la notion d’hystérèse qui, initialement, en science, se réfère à ces « phenomena where effects persist when causes have disappeared ». Leur concept d’« hystérèse médiatique » leur permet de penser la tension entre l’ancien et le nouveau en dépassant les paradigmes du retour, du revivalisme, de la remédiation, au profit d’une conception qui insiste plutôt sur la persistance ou, plus simplement, l’anachronisme du temps différé[4].

De mon côté, j’essaie depuis quelque temps de cartographier les formes et la signification culturelle de ces subtiles injections (dans la culture populaire) de signes « filmiques » et de traces de l’argentique. On peut penser à l’ajout de petites égratignures ou de marques de poussière dans les génériques d’ouverture d’œuvres tournées pour l’essentiel en numérique comme Argo (2012) ou, plus récemment, la série Stranger Things (2016-2022). Je suis ainsi l’évolution et le statut changeant de la perception et de la valorisation des technologies analogiques. L’adoption forcée d’un format de projection numérique dans les salles commerciales à l’automne 2011, l’explosion des réseaux sociaux (Facebook et Instagram en particulier) et la généralisation corrélative des téléphones intelligents ont entraîné un bouleversement certain dans le statut économique et symbolique de ce qu’on appelle « l’analogique ». Le « retour de l’analogique » (en cinéma, en photographie, en musique, dans le jeu vidéo) est apparu, au fil du temps, dans les films, les vidéoclips et les publicités, très souvent par le truchement de simulacres numériques, entraînant par le fait même un regain d’intérêt bien réel pour la production d’images analogiques (le phénomène de la lomographie en serait l’exemple le plus reconnaissable). Plus qu’un simple concept technologique, l’analogique est devenue depuis quelques années une notion dont l’inflation est directement liée à l’emprise qu’a pris dans nos vies « le numérique ». Jonathan Stern a montré dans une série d’articles[5] que l’analogique se réfère moins, en effet, à une technologie, à un média ou à un concept que, simplement, à quelque chose qui contrecarre la « perfection froide et inhumaine du numérique » (tel que décrit par Susan Murray[6]) et qui reviendrait, précisément, pour cette raison.

Des auteurs, comme David Sax dans son ouvrage The Revenge of Analog, ont décrit ce retour comme une forme de « vengeance ». En plus de la vengeance de la photographie et de la pellicule, il en existerait une « du papier » (un chapitre est entièrement consacré au retour des cahiers Moleskine), « des vinyles », des « jeux de société » et de « la presse ». Les disques vinyles, les carnets de notes, les Polaroids, les magazines papier, le jeu Monopoly, toutes ces choses ne partagent qu’un seul trait : ils se distinguent de la version numérique qui – plus commode, plus versatile, moins coûteuse – devait les remplacer (CD, jeux vidéo, agendas électroniques, Kindle, cinéma numérique, etc.) Pour Sax, ce tournant « analogique » se présente en réalité comme un retour aux « vraies choses », après que le numérique ait entraîné une sorte de « désertification du réel » (au profit du virtuel); ce tournant nous invite alors (pour survivre) à valoriser un rapport plus authentique, concret, créatif et plaisant avec le monde, que des années de simulacre numérique, de solutions « nuagiques » et d’immersion virtuelle nous ont fait peu à peu perdre. Ceci explique aussi que, dans le « jargon chic », « going analog » ne veut pas nécessairement dire que l’on adopte un ensemble de technologies analogiques (comme taper à la machine à écrire, écouter des vinyles, ou possèder une collection de belles plumes), mais plutôt que l’on reconnaît l’intérêt et l’importance (pédagogique, psychologique) de médiums non numériques dans nos vies. Si l’on se réfère à divers Ted talks sur le sujet, l’expression « going analog » devient ainsi un remède aux maux que le numérique a entrainés et dont il faut se désintoxiquer.

Bien entendu, ce retour à une soi-disant relation authentique et naturelle au « réel » n’est pas pour autant anti-médiatique ou a-technologique, même si elle se présente avec des attributs que l’on associe à la nature, à la vie « organique » ainsi qu’à un mode d’existence plus simple et en contact avec la terre. Cette « renaissance de l’analogique » est, au contraire, complètement médiatisée par un ensemble de technologies qui se sont cristallisées dans l’imaginaire collectif et qui ont acquis une puissance auratique. Une des dimensions de celle-ci, en ligne droite avec ce que Svetlana Boym décrit sous le nom de « nostalgie réflexive » (qu’elle oppose à la forme plus régressive de la « nostalgie restauratrice »), est de permettre « d’éprouver le plaisir sensuel de la texture du temps[7]. » C’est cette promesse (nostalgique) de l’analogique qui se trouve aujourd’hui instrumentalisée par des compagnies de publicité, l’industrie de la musique et celle du jeu vidéo, des séries télés, des marques de vêtements et les réseaux sociaux qui en font leur miel depuis des années (et qu’Obsolescence cherche à rendre en partie visible)[8].  

D’un point de vue matériel, tous les signes palpables (dans notre imaginaire) de ces technologies « analogiques » sont bien souvent l’expression de ses défauts ou de ses limites : accidents, brûlures, décolorations, usure du temps, poussière, contraintes de tournage, coûts, etc. Or, ce sont précisément ces défauts qui deviennent des qualités propres du médium (distinctes des propriétés du numérique). Ces défauts (qui peuvent devenir des contraintes créatives) sont aussi le signe de la résilience de ces anciens médiums qui tendent à survivre miraculeusement à la disparition dans nos environnements numériques. Ces marqueurs visuels et sonores – une tache de lumière inopinée, le grésillement d’une aiguille dans les rainures d’un disque vinyle, la bande magnétique d’une cassette se déroulant dans un Walkman – sont devenus des relais temporels qui nous mettent en contact avec une culture matérielle plus ancienne et, de façon plus générale, avec des formes de matérialité réprimées qui ont été considérées comme dépassées à l’ère du numérique[9]. Ces images et ces sons incarnent un régime historique et médiatique immédiatement reconnaissable. Dans nos productions contemporaines, en un raccourci fulgurant et en fournissant un marqueur temporel précis, ils viennent raconter le passé et, par le fait même, offrent des façons d’accéder médiatiquement à la mémoire de celui-ci : ils sont à l’image de la mémoire de quelqu’un[10].

La nouvelle caméra Super 8 de Kodak

En janvier 2016, au cours du Consumers Electronics Show (CES) de Las Vegas, une célébration de la haute technologie du monde de demain, Kodak fit une annonce surprenante : la compagnie s’apprêtait à lancer une nouvelle caméra Super 8 sous la bannière de ce qu’elle proclamait être une « Analog Renaissance », bannière dont elle chercherait par la suite à devenir le chantre et le porte-drapeau. Kodak avait introduit le format Super 8 en 1965, soit plus de 50 ans avant. Elle avait cessé de produire des caméras en 1982, soit à peu près à l’époque où les magnétoscopes VHS avaient commencé à remplacer le format Super 8 dans la pratique du cinéma amateur. Bien que la compagnie Kodak ait souvent joué dans l’histoire des caméras le rôle de pionnière (on pense à l’invention de la Ciné-Kodak Special ou de la Brownie), l’annonce de cette renaissance de la Super 8 possédait dans le contexte quasi-exclusivement dédié aux innovations numériques des années 2010, un caractère anachronique. Au CES suivant, qui eu lieu à l’hiver 2017, un nouveau prototype de cette nouvelle caméra Super 8 de Kodak fut présenté, mais cette fois, avec de nouvelles caractéristiques et un boitier fonctionnel. Il est à noter que, au moment où ces lignes ont été écrites, à l’été 2022, la caméra n’a toujours pas été commercialisée[11].

Kodak profita du CES du 2017 pour annoncer le retour de la pellicule Ektachrome (celle-ci fut finalement lancée au mois de septembre 2018). La compagnie y lança aussi une série d’applications pour téléphone mobile. L’application Reel Film allait permettre de savoir où voir un film projeté en pellicule (l’application ne fonctionna qu’un bref moment aux États-Unis) et quels films récents avaient été tournés en pellicule. Cette application s’inscrivait dans un plan de valorisation général qui animait Kodak dans ces années. Elle devint partenaire, par exemple, du Alamo Drafthouse et d’autres cinémas indépendants, du « Reel Film Day » (célébré à tous les 5 mars, depuis 2017). Durant cette journée, des salles de cinéma aux États-Unis et en Angleterre présentaient et célèbraient des films projetés en 35 mm. Ces projections allaient de Ladri di Bicicletta (à Tucson, en Arizona) à Jurassic Park (à Franklin, Illinois), de Spawn (Londres) à Jackie Brown (Yonkers, État de New York). Des nouveaux laboratoires Kodak sont apparus, depuis, à Queens (Long Island City), à Londres et à Atlanta, en Géorgie. On peut également mentionner le lancement d’une revue papier, Kodachrome (quatre numéros publiés depuis 2016), d’un balado dédié à la culture « analogique », The Kodakery (138 épisodes, de 2016 à 2019), etc.

Ces événements et ces annonces témoignent d’un virage dans l’image de marque de Kodak, amorcé sous la gouverne de son PDG Jeff Clark, en 2014. Depuis 2019, la compagnie est sous la responsabilité de Jim Constanza et, après une baisse marquée des profits en 2020, la vision de Kodak semble désormais être redevenue moins ambitieuse et plus conservatrice. Bien que les ventes de films aient augmenté de façon constante entre 2015 et 2019, ce secteur géré depuis 2013 par la division Kodak Alaris ne représente qu’une petite portion des profits de la compagnie, qui concentre ses activités dans le domaine des impressions commerciales. Néanmoins, même si la chose ne se reflète pas dans les profits, la campagne liée à la « renaissance de l’analogique » a suscité un vaste engouement public et a remodelé profondément l’idée que l’on se faisait de Kodak, malgré le scepticisme de certains.

Cette annonce provoquait en effet une série de questions, hormis les plus évidentes (la caméra sortira-t-elle un jour, fonctionnera-t-elle?). Est-ce de la nostalgie? Est-ce un appel aux hipsters toujours à l’affût du vintage, d’un ancien qu’ils n’ont pas connu qui devient, à leurs yeux, « nouveau »? Pour la génération des milléniaux à laquelle cette caméra semblait destinée, une génération habituée à l’obsolescence et à l’instabilité numérique, on pourrait dire dans les faits que « le vieux est le nouveau nouveau » (old is the new new).

Pour rendre compte de l’esprit avec lequel Kodak se lançait dans cette « renaissance de l’analogique », mentionnons la publicité annonçant le retour de l’Ektachrome parue à l’automne 2018. Cette dernière s’ouvrait sur une musique mélancolique, avec l’image d’une personne écumant dans une boutique poussiéreuse des rangées de disques vinyles. Une voix de femme narrait le texte suivant, sur des images de tourne-disques, d’une femme lisant dans le métro, d’une caméra photo 35 mm en train d’être chargée d’une pellicule, d’un adulte sur la plage filmant un paysage :

Over the last few years, we’ve seen a lot of things coming back. Things we thought we’d lost the convenience and ubiquity of digital technology. As a new generation discovers, and another remembers, what was lost has been found. The analog renaissance is here. And now Kodak is proud the announce the return of one of the most iconic film stocks of all times. […] We’re bringing it back.

Cette « renaissance », comme il sera explicité plus loin, s’adresse à la jeune génération qui contemple un horizon radieux. En regardant de plus près, on réalise que le jeune homme qui apparaît dans cette publicité tient dans ses mains une caméra 8 mm E3L Brumberger du milieu des années 1950. Ce n’est pas une caméra Super 8 et Kodak ne produit plus de pellicule 8 mm, surtout pas en Ektachrome. Cette caméra devient donc un signifiant vide dont personne, au département de publicité de Kodak, ne semble se préoccuper[12].

Kodak: de la faillite à la résurrection de l’analogique

Avant d’aborder les spécificités de la nouvelle caméra Super 8 de Kodak et l’écosystème qu’elle partage avec d’autres médias, il semble nécessaire de rappeler le contexte plus général dans lequel l’annonce de son arrivée s’inscrit. Depuis le début des années 2000, Kodak, dans la perception du public, est une compagnie à l’agonie toujours plus menacée par l’arrivée du numérique (tout comme les autres compagnies telles que Fuji qui ont depuis 2013 discontinué plusieurs types de pellicule film et photo ou les laboratoires de film). L’ironie est bien entendue que Kodak avait inventé en 1975 la première caméra numérique. Par crainte de voir diminuer ses ventes de pellicule et la qualité de son service de développement, elle avait refusé de la commercialiser[13]. En 2012, la compagnie avait déclaré faillite et s’était départie de plusieurs départements, créant ainsi des entités autonomes (comme Kodak Alaris, basée au Royaume-Uni, qui s’occupait en partie de la chaine photochimique). Depuis, elle se focalise essentiellement dans le domaine de la numérisation et de l’impression corporative. En 2015, la compagnie dut détruire une de ses plus anciennes usines située à Rochester. En totalité, 45 usines furent fermées, laissant plus de 45 000 travailleurs sans emploi. L’image de la démolition (qui a fait le tour du monde) était l’incarnation même de la « mort du film ». Quelques années auparavant, en 2006 (l’année que Kodak annonçait la discontinuation du Kodachrome), Tacita Dean réalisait Kodak[14], documentant les derniers jours d’une usine Kodak à Chalon-sur-Seine. Ce sont ces images (un empire qui s’écroule, des usines abandonnées) qui définissaient la compagnie depuis le milieu des années 2000.

Il y a donc lieu de se demander ce qui a pu survenir dans un espace discursif dominé par des appels à la « mort du film » et à l’obsolescence de la pellicule, et dans le contexte de l’holocauste industriel de l’automne 2011 qui vit le remplacement de la quasi-totalité des projecteurs 35 mm dans les salles commerciales par des projecteurs numériques 2K (aujourd’hui obsolètes), pour que soit ainsi proclamé une « renaissance de l’analogique ».

Plusieurs données doivent être mises au compte de ce changement de discours (même si la réalité concrète de l’hégémonie du numérique n’est pas contredite). Il est connu qu’une poignée de réalisateurs hollywoodiens de renom ont, depuis de nombreuses années, soutenu Kodak en maintenant leur désir de tourner en pellicule. En 2015, les six principaux studios de Hollywood signaient une entente garantissant, à condition que Kodak continue à produire de la pellicule, des achats conséquents de celle-ci pour leurs tournages[15]. Quentin Tarantino, Christopher Nolan, J. J. Abrams, Steven Spielberg, Martin Scorsese, Judd Apatow parmi d’autres ont renouvelé – dans des discours non exempts de romantisme et de nostalgie – leur attachement pour la pellicule, notamment la pellicule super 8 avec laquelle ils ont tourné leurs premiers films. Ces cinéastes, et ce n’est pas un hasard, sont cités sur la page du site internet de Kodak qui est consacrée à la présentation de la nouvelle caméra Super 8. Par ce choix, la compagnie attribue une aura d’autorité morale à son produit. Parmi les citations les plus fascinantes que l’on retrouve sur ce site, mentionnons celle du directeur photo Bradford Young (né en 1977) : « I never saw myself on Super 8 as a kid. I feel robbed of an experience. I want my kid’s to feel what I see in other people’s memories shrouded in a time capsule. »

Le Super 8, à l’évidence, n’est pas qu’un format de pellicule. Ce dernier est lié à un complexe de références historiques et esthétiques ainsi qu’à des connexions psycho-affectives qui renvoient à des modes révolus du ressouvenir (comme les diapositives, le Polaroid). Ces modes prennent de la valeur, précisément parce qu’ils se distinguent des supports d’enregistrement mémoriels contemporains (et bien que des compagnies, qui désirent occuper le terrain du « souvenir », comme Apple, Instagram ou Facebook, cannibalisent esthétiquement le Super 8 dans leurs publicités ou leur mode de fonctionnement).

Il existe en même temps un regain d’intérêt bien réel pour l’argentique. La pellicule n’est, en réalité, jamais réellement disparue; elle est encore très présente dans plusieurs sphères dont celle du du cinéma expérimental, de la préservation et de la conservation des films, celle des aficionados du cinéma orphelin et des collectionneurs. On pourrait par contre relever l’engouement particulier pour la pellicule depuis 2010-2012, avec l’émergence de nouveaux laboratoires d’artistes dans plusieurs capitales telles que Londres, Berlin et Ljubljana. La pellicule argentique est aussi très présente dans les musées et les galeries. Pensons notamment à l’exposition Bruce Conner organisée au MoMA en 2016 et dont l’une des attractions étaient les boucles de pellicule 16 mm. La pellicule est également présente dans les festivals spécialisés, les cinémas et les ciné-clubs dédiés à présenter des films en pellicule (comme le Metrograph de New York, le Revue à Toronto, le Film Society à Montréal, etc.)[16]; dans des initiatives spéciales comme le Filmprojection121, la Journée du film de famille, le Nitrate Picture Show à Rochester ainsi que des événements dédiés au Super 8 et au format réduit (One Take Super 8, le festival du Super 8, etc.). Tout cela, bien que cantonné à des secteurs nichés mais bénéficiant de l’inflation des réseaux sociaux, participe à créer l’impression d’une « renaissance de l’analogique ». Kodak a semblé, pendant quelques années, non seulement vouloir faire partie de la conversation, mais en écrire également le scénario[17].

La caméra, elle-même

Pour comprendre ce que cette caméra Super 8 pourrait vouloir dire, il faut se pencher sur son design et ses caractéristiques. La caméra a été dessinée par le jeune designer Yves Béhar, fondateur de la compagnie fuseproject, qui est reconnue pour ses objets technologiques aux lignes stylisées et minimalistes.  La compagnie fondée par Béhar est responsable entre autres d’un prototype de tourne-disque « intelligent » qu’on peut activer par Bluetooth. Bien que cet objet n’ait jamais été commercialisé, celui-ci possède un aspect innovant; plutôt que de faire tourner un disque, c’est un dispositif installé sur une base fixe qui tourne sur le disque.

La caméra Super 8 conçue par fuseproject adopte elle aussi une forme hybride (entre numérique et analogique), un style minimaliste et un revêtement en plastique blanc ou noir. Le design et la fabrication de la caméra (qui est passée par une série de modifications depuis sa première conception en 2016)[18] doit permettre de tourner une cartouche standard de film Super 8 à 18, 24, 25 ou 36 images/secondes. Faits étranges pour une caméra Super 8, celle conçue par fuseproject vient avec un écran LCD numérique et permet de modifier les optiques, des options que seuls quelques rares modèles de caméra Super 8 comme la Beaulieu, la Leicina et la Fujica offraient. La Super 8 de Yves Béhar offre aussi la possibilité d’enregistrer le son sur une carte SD (à 25 images/secondes) avec un microphone installé sur la poignée du dessus. Par ailleurs, une des choses annoncées mais pas encore tout à fait au point est l’expérience client (marque de commerce de Kodak). Une fois votre bobine exposée, vous pouvez l’envoyer dans un laboratoire Kodak près de chez vous. Ce dernier s’engage alors à développer, à numériser et à vous renvoyer votre film, en même temps qu’une version 4K téléchargeable de celui-ci et des fichiers audio qui l’accompagnent. La caméra est ainsi conçue pour s’adapter à un monde numérique, tout en préservant la matérialité traditionnelle de la pellicule Super 8.

Un arbre généalogique

Cette nouvelle caméra Super 8 signée Béhar n’est pas, en réalité, la première à apparaître sur le marché depuis les années 1980-1990. Autour de 2012, une « Rhonda Cam » fut produite par la compagnie californienne Pro8. Comme pour les caméras Lomo (qui en sont l’exact modèle contemporain), la Rhonda Cam est en fait une version « relookée » d’une Canon 310XL, une caméra classique des années 1970. La Rhonda, qui coûtait autour de 450 $, était vendue dans des boutiques comme Urban Outfitters, aux côtés de caméras Lomo comme la Diana ou la Holga. De façon encore plus significative, en 2015, la compagnie Logmar lança une fascinante caméra Super 8 qui combinait des traits numériques (un écran LCD, la capture du son numérique) avec des caractéristiques mécaniques qui assuraient une meilleure stabilité de l’image. La même année, 50 modèles furent produits pour souligner les 50 ans du Super 8. À 3500 euros[19], la caméra produite par Logmar était, semble-t-il, destinée à être utilisée pour des tournages professionnels. À ce prix, toutefois, la viabilité de la caméra était difficile à maintenir[20].

La nouvelle caméra Super 8 participe également, superficiellement à tout le moins, à la culture hipster du vintage et du rétro, celle qu’on retrouve dans les grands centres urbains et dont la circulation et la dissémination ont été alimentées très largement par la culture numérique. Des applications comme Hipstamatic et Instagram ont très certainement rendu visible, désirable et accessible cette esthétique de l’obsolète ou ce « film look », tout en suscitant chez certains le désir de toucher aux vrais appareils, aux vrais outils (suivant une logique de la distinction et son culte de la soi-disant authenticité)[21].  Ajoutons que la « rétro-ludicité » est un phénomène qui n’a cessé de grandir depuis 2010 et qui s’est accentué depuis le lancement de miniconsoles comme la NES Classic (Atari et SEGA ont aussi leur version « mini ») ou l’essor de jeux indépendants dont la forme et le contenu sont inspirés par l’époque des jeux 8 bits. Pensons notamment à Impossible Project (aujourd’hui Polaroid Originals) qui a lancé en 2017 une nouvelle caméra Polaroid avec des connexions Bluetooth, afin « d’amener Polaroid dans le numérique », ou à Fisher Price qui a relancé en 2016 sa ligne classique (aujourd’hui vintage) de jeux pour enfants telle que sa visionneuse Super 8 et son tourne-disque. La vente de tourne-disques et de vinyles augmente à chaque année, depuis 15 ans. En 2021, cette dernière atteignait 50 % de plus[22], surpassant à la fois la vente de CD et celle de disques numériques[23]. Par ailleurs, des séries comme Stranger Things et des films comme la trilogie Guardians of the Galaxy de Marvel ont très certainement contribué au retour de la cassette et du Walkman. Quant à la machine à écrire, elle est également de retour[24], adoptant parfois des formes hybrides, comme la Smart Typewriter de la compagnie Freewrite qui propose un « distraction-free writing tool ».

À bien y regarder toutefois, et malgré un zeitgeist qui lui serait fort propice, la nouvelle caméra Super 8 de Kodak ne table pas excessivement sur la dimension rétro. La caméra, elle-même, n’est pas vintage (si on la compare aux caméras lomo ou aux nouveaux tourne-disques, souvent en faux cuir). Cette caméra Super 8 semble être conçue aujourd’hui, non pas strictement en  référence au passé ou à son souvenir. C’est comme si cette caméra nous proposait un futur pour la technologie, un futur qui serait parvenu à incorporer le numérique (sans pour autant s’y opposer). Pour encore mieux saisir la singularité du projet lancé par Kodak et sa portée socio-technique[25] (qui montre à l’envi la complexité historique que cet appareil charrie), il y a lieu de se pencher sur l’une de ses caractéristiques les plus étonnantes : sa poignée du dessus, en cuir coussiné[26].  

L’archéologie d’une poignée

Bien que certaines caméras 8 mm (comme la Cine Kodak Eight inventée en 1932) ou encore 16 mm (par exemple la Ciné-Kodak Special de 1933 et des modèles de la H16 de Bolex) possédaient des poignées positionnées sur leur dessus, elles n’étaient pas conçues pour filmer, mais plutôt pour le transport et, éventuellement, avec la visée collée au visage, pour stabiliser la main qui tenait la caméra au moment du tournage. La nouvelle caméra inventée par Kodak donne à ses usagers le choix entre deux types de poignées : d’une part, la poignée « pistolet » conçue pour maintenir la caméra près du visage, une option qui est contraire à l’esprit de l’écran LCD qui avait pour tâche de libérer (en les séparant) l’œil et la main du filmeur et, d’autre part, une poignée de dessus. D’un strict point de vue pratique, cette dernière sert avant tout de micro, comme pour plusieurs caméras vidéo qui incorporent un microphone sur une structure au-dessus de la lentille, séparée du corps de la caméra. Ce choix résout en réalité un dilemme technique (où placer le micro) qui n’est pas lié de façon fondamentale à l’histoire de la technologie du Super 8, puisque les caméras Super 8 sonores n’ont pas nécessairement eu une si grande fortune. Mais de toute évidence, cette poignée du dessus sert aussi une autre fonction, cette fois-ci « corporelle », qui se greffe à une série complexe d’associations culturelles ou sous-culturelles.

Il existe à l’évidence une généalogie à cette poignée positionnée sur le dessus de la caméra et aux techniques du corps qui l’accompagnent (comme, en biologie, l’évolution d’un certain type de queue, d’aile ou de pistil peut nous apprendre beaucoup sur l’histoire d’une espèce animale ou végétale). Ce type de poignée remonte d’abord aux premières générations de caméras vidéo, telles les Betamax, Video 8 et Hi 8 (la Portapak de Sony, curieusement, s’en tenait à la traditionnelle poignée « pistolet »). Initialement, sur ces trois caméras vidéo, elle servait au transport de l’objet et, aussi, à la stabilisation de celui-ci sur l’épaule (il fallait encore, en utilisant ces appareils, coller l’œil sur la visée). Dans les années 1980, la Betamax, la Video 8 et la Hi 8 ont été adoptées par les communautés de skaters, qui étaient en train d’élaborer une culture visuelle qui leur était propre; cette dernière était en partie héritée des mouvements contre-culturels de skateboarders californiens des années 1950 et évoluait, au fil des années 1980, vers un environnement plus urbain. Entre les années 1980 et 1990, les vidéos de skate allaient devenir l’une de ses composantes essentielles[27]. La fameuse poignée du dessus apparut alors comme un élément ergonomique de ces caméras facilitant l’agencement entre le corps du filmeur et celui du skater. Ces derniers passaient à cette époque des performances pour ramp (et toute l’iconographie des prouesses dans des piscines vides du groupe de skateboarders Dogtown) à des explorations en style libre dans des décors urbains, qui exigeaient que le caméraman (souvent lui-même sur une planche) suive le skater à partir d’un angle bas. Au moment où, dans les années 1990, les caméras devinrent plus légères et avant même l’introduction d’un écran LCD, l’œil s’était libéré de l’œilleton, rendant ces prises à  angles bas plus faciles à réaliser, en particulier avec l’ajout de lentilles grand angle de type fisheye. C’est dans ce contexte que Sony sortit en 1995 sa caméra DCR-VX1000 avec cette poignée ergonomique sur la partie supérieure. C’est d’ailleurs cette caméra qui fût adoptée par les cinéastes du collectif danois Dogma 95 qui réalisèrent des films comme Festen (Vinterberg, 1998) et Idiotern (Von Trier, 1998). Dans les mêmes années, elle devint aussi la caméra la plus prisée pour capter les prouesses des artistes de la planche. De nos jours, dotée d’une lentille fisheye (le modèle MK1 conçu spécifiquement pour la VX1000 par Century Optics), la caméra est encore utilisée pour réaliser des vidéos de skateboard, authentiques et vintage[28].

Cette poignée apparaît sous diverses formes aujourd’hui. Elle est une composante indispensable, à titre d’exemple, de plusieurs dispositifs steadicam, la poignée permettant de filmer en rasant le solde façon très stable. La Cam Caddie Scorpion, pour ne citer qu’elle, a été conçue et valorisée comme un outil essentiel pour l’enregistrement des performances de skaters. Il existe aussi plusieurs variations étonnantes de cette poignée, comme la Lumenati CS1. Il s’agit d’une enveloppe protectrice (smartcase) qui « transforme » votre iPhone 6 en caméra Super 8, avec lentilles interchangeables (fisheye, grand angle) et autres accessoires (vous pouvez ajouter un microphone par exemple). Créée en 2015, la Lumenati CS1 est l’oeuvre d’un collectif d’artistes de Denver. Cet adapteur vient avec une poignée « pistolet » (typique des caméras Super 8) mais, aussi, sans surprise, avec une poignée sur le dessus. D’ailleurs, les vidéos et les photos qui en font la promotion représentent presque systématiquement des scènes de skateboard[29].

L’esthétique du skate et ses liens avec l’histoire du Super 8 semble être un des points d’entrée principaux qui permet de pénétrer l’esprit des designers de la caméra mais, aussi, de mieux saisir son « mode d’existence », selon la formule de Simondon. L’identité visuelle de la culture du skateboard des années 1970, identifiée à la Côte Ouest et à l’équipe Zéphyr ou à Dogtown and Zboys, a évolué notamment grâce à l’arrivée de la vidéo, avec des artisans comme Stacy Peralta et ses vidéos du milieu des années 1980, ou encore David Carson et son rôle dans la production de la série Transworld Skateboarding. Cette culture s’est cristallisée en 1991 avec l’emblématique Blind Video Days de Spike Jonze. Mais les vidéos de skate dans les années 1990, et tout particulièrement la série Transworld Video réalisée par Ted Newsome, ont également commencé autour de 1997 à introduire des plans tournés en Super 8 (parfois en 16 mm) aux côté d’images miniDV. Le grain, ce caractère brut de la pellicule réversible, se liait bien à l’esthétique des premières images numériques et permettait de créer un pont entre le look du film et celui de la vidéo numérique. En 2001, en accentuant les brûlures, les « flares », les rayures et toutes ces spécificités visuelles devenues le propre de la pellicule, le documentaire de Stacy Peralta Dogtown and Zboys[30] est venu renforcer, auprès d’une plus jeune génération qui venait à prendre conscience de cette riche histoire, l’association entre le « film » et la pratique du skateboard. L’établissement de ce parallèle trouve également des échos dans un film comme Paranoid Park (2007) de Gus Van Sant, pour lequel plusieurs plans de scène de skateboard ont été tournés en Super 8[31]. Aussi, même si peu d’images en Super 8 et en 16 mm documentaient dans les faits la pratique du sport des années 1960 et 1970, un alliage naturel film/skate s’est créé au fil du temps[32].

La culture du  skateboard est inséparable des appareils techniques qui ont servi à en inscrire la légende, et ce, même si cette légende est en partie fabriquée. Pour confirmer le caractère tenace de cet agencement, mentionnons la compagnie Elan Vital qui a fait paraître en 2017 une planche de skate où apparaissaient des images de la VX1000 de Sony aux côtés de caméras Canon Super 8 (et qui semble fonctionner comme un intertexte trop parfait pour comprendre la nouvelle caméra Super 8 de Kodak). Kodak a également approché en 2017 la compagnie Alien Workshop pour qu’elle réalise des planches reprenant des images de la Kodak Instamatic, des bandes de pellicule et des termes techniques de la photographie (on retrouve aussi le mot « end », possiblement ironique ici). La même année, Kodak a également établi une collaboration avec la compagnie Girl Skateboards pour développer une ligne de planches, de casquettes, de t-shirts, etc.

Dans l’infolettre de Kodak du 23 juin 2018, on pouvait lire :

Film has been embedded in the skate, surf and snowboard culture from the beginning. The do-it-yourself nature of these sports is a perfect fit with the craft of photography and filmmaking. This is especially true for Super 8.

Today the Vans Snow Team is recording their travels on Super 8 and 16 mm, and the Girl Skateboards team is preparing to hit the road for their summer tour loaded up with Kodak film. People around the world are getting out to enjoy summer and RIDE.

Whatever board you’re grabbing and wherever you’re riding, take some film. Show us your adventures! #shotonsuper8

Cette association entre skate, snowboard et pellicule est dictée par plusieurs facteurs. L’esthétique Super 8 et (avec le passage du temps) de la vidéo vintage est devenue une façon de résister aux images plus lisses des caméras HD/4K qui dominent actuellement le monde (les images de drone, par exemple), mais aussi les images plus heurtées, réalisées sur des iPhones ou des Go-Pro. Ceux et celles qui l’adoptent expriment le désir de s’inscrire dans la continuité de cette histoire et de créer, ce faisant, un liant (en partie artificiel), entre la contre-culture du skate des années 1960, 1970, 1980 et 1990[33], par la médiation d’une apparence visuelle (anachronique dans certains cas) associée à un « style de vie », avec ses tonalités d’authenticité et de refus de conformisme[34]. C’est ainsi que le désir d’adopter un style de vie singulier, en rupture (toute relative) avec la culture hégémonique (entendre : numérique) pourrait être un des facteurs qui associe (dans l’esprit de Kodak) la renaissance de l’analogique aux questions d’authenticité et à la tranche jeune et branchée du marché symbolique et financier à laquelle leur caméra est destinée.

En 2012, la compagnie Pro8, qui vend de la pellicule, des caméras et des services de postproduction et est basée à Burbank en Californie, posait cette question rhétorique sur son blogue : « Y a-t-il un style de vie Super 8[35]? » En se posant cette question, elle cherchait ainsi à savoir quelle pouvait être la relation établie entre le style de vie d’une personne qui choisit de tourner (aujourd’hui, à l’ère du numérique) en Super 8 et le « lifestyle filmmaking shot on Super 8 », c’est-à-dire le cinéma dédié à la capture des « styles de vie » (mariage, prouesses en skateboard, vidéoclip, etc.). Est-ce un « style de vie » qui peut susciter des formes de désirs sur lesquels une économie (parallèle) peut s’organiser? Les designers de Kodak s’étaient-ils posé les mêmes questions, en décidant de fixer cette poignée au-dessus de leur nouvelle caméra Super 8?

Conclusion

Somme toute artificielles, ces constructions sur l’authenticité, la réalité, la créativité et le patrimoine culturel (une sorte d’histoire commune à laquelle on désire s’accrocher) semblent être incorporées à la fois dans le design et la rhétorique publicitaire de cette caméra « ornithorynque » qui n’a jamais réellement existé. Elle est un composé hybride de références et de régimes historiques, et elle demeure inséparable de l’écosystème techno-discursif entourant l’analogique qui était en plein essor dans les années 2010 à 2020, en réaction à l’hégémonie du numérique. Une analyse rapprochée tendrait à complexifier une interprétation qui se limiterait à n’y voir qu’une énième variation sur la rétro-nostalgie ou la technostalgie (à laquelle elle est bien entendu liée). Cette « piste » a cherché à montrer que, à travers une archéologie de l’ergonomie et des usages socio-technologiques et en prenant au sérieux une chose aussi superflue qu’une poignée, on pouvait faire apparaître la multiplicité (identitaire, techno-affective, culturelle et sous-culturelle) que la caméra Super 8 de Kodak archive. C’est cette multiplicité qui oriente le regard de ses inventeurs, qui permet de comprendre les discours qu’elle suscite, et de mieux saisir sa vie rêvée – ainsi que les cauchemars qu’elle doit encore induire chez certains.

Notes

[1] Charles Acland (dir.), Residual Media, MA, University of Minnesota Press, 2007.

[2] Laura U. Marks, Touch: Sensuous Theory and Multisensory Media, Minnesota, University of Minnesota Press, 2012, p. 152-159. Voir aussi Dominik Schrey, « Analogue Nostalgia and the Aesthetics of Digital Remediation », dans Katharina Niemeyer (dir.), New York, Palgrave, Macmillan, 2014, p. 27-38.

[3] Jussi Parikka, Garnet Hertz, « Zombie Media: Circuit Bending Media Archaeology into an Art Method », Leonardo, vol. 45, no 5, 2012, p. 424-430.

[4] Philippe Theophanidis, Ghislain Thibault, « Media Hysteresis: Persistance through Change », Alphaville: Journal of Film and Screen Media, no 12, hiver 2016, p. 8-23.

[5] Jonathan Stern, « Analog », dans Benjamin Peters (dir.), Digital Keywords. A Vocabulary of Information Society and Culture, Princeton, Oxford, Princeton University Press, 2016, p. 31-44.

[6] Susan Murray, « Digital images, Photo-Sharing and our Shifting Notions of Everyday Aesthetics », Journal of Visual Culture, vol. 7, no 2, p. 160. On pourrait également citer l’essai récent de Guillaume Éthier, un plaidoyer pour une « ville analogique », comme alternative à la ville branchée et « intelligente ». Voir Guillaume Éthier, La ville analogique. Repenser l’urbanité à l’ère numérique, Montréal, Atelier 10, 2022.

[7] Svetlana Boym, The Future of Nostalgia, New York, Basic Books, 2001, p. 49. Ma traduction.

[8] On lira entre autres Katharina Niemeyer, « A theoretical approach to vintage: from oenology to media », NECSUS, automne 2015, https://necsus-ejms.org/a-theoretical-approach-to-vintage-from-oenology-to-media/; André Habib, Alice Michaud-Lapointe, dossier « Le temps du rétro », Spirale, no 265, automne 2018; Gary Cross, Consumed Nostalgia: Memory in the Age of Fast Capitalism, New York, Columbia University Press, 2015.

[9] Voir entre autres Lisa Chandler et Debra Livingston, « Reframing the Authentic: Photography, Mobile, Technologies and the Visual Language of Digital Imperfection », 2012, http://www.inter-disciplinary.net/at-the-interface/wp-content/uploads/2012/05/chandlervlpaper.pdf.

[10] La relation techno-mémorielle et affective du Walkman de Sony, dans la série des Guardians of the Galaxy, en serait un bon exemple. Voir la fiche sur ce sujet.

[11] Pour une mise à jour récente et un résumé assez complet de l’histoire et des raisons du retard, on peut lire Jürgen Lossau, « Later this year. Kodak Super 8 Camera », Super 8, no 5, avril 2022.

[12] Voir la fiche consacrée au retour de l’Ektachrome.

[13] Voir James Estrin, « Kodak’s first Digital Moment », Lens (blogue), The New York Times, 12 août 2015, https://lens.blogs.nytimes.com/2015/08/12/kodaks-first-digital-moment/?mcubz=0.
[14]  Noir et blanc (2006), tourné la même année que Kodak, a été réalisé avec le dernier rouleau de 16 mm double perforation noir et blanc qu’elle a été capable de trouver. Dean milite depuis de nombreuses années pour la survivance du film, et plusieurs de ses oeuvres en sont des témoignages (en particulier sa célèbre installation Film, présentée au Tate Modern en 2011). Pour un résumé, voir Emily Eakin, « Celluloid Hero », The New Yorker, 31 octobre 2011.

[15] « Kodak Finalizes Motion Picture Film Agreements with Major Hollywood Studios », Kodak, 4 février 2015, http://www.kodak.com/us/en/corp/press_center/kodak_finalizes_motion_picture_film_agreements_with_major_hollywood_studios/default.htm.

[16] On lira entre autres l’excellent texte de Rossella Catanese et Clizia Centorrino, « Festival and Dispositifs of Analog Counter-Culture », Studies in European Cinema, 2022, https://doi.org/10.1080/17411548.2022.2115253.

[17] Sur le sujet, on lira Maria De Rosa, Marilyn Burgess, « State of the Art: Understanding, Appreciating and Promoting Film Practices in the 21st Century », Communications MDR, mars 2016. Sur le mouvement des laboratoires d’artistes, voir Genevieve Yue, « Kitchen Sink Cinema: Artist-Run Film laboratories », Film Comment, 30 mars 2015, https://www.filmcomment.com/blog/artist-run-film-laboratories/ et Pip Chodorov, « Artist-Run Film Labs », Millenium Film Journal, no 60, automne 2014.

[18] Certains changements concernent l’ergonomie de la caméra (le rajout d’un bouton « enregistrer » sur la poignée du dessus par exemple), d’autres concernent des spécifications mécaniques et numériques. Jürgen Lossau précisait qu’un des problèmes repose sur la rareté de l’expertise pour fabriquer une nouvelle caméra. À cela s’ajoute la difficulté (qui s’est accrue au fil de la pandémie) d’obtenir des pièces des chaînes d’approvisionnement (les éléments mécaniques doivent, dans certains cas, être fabriqués de toute pièce). Ces défis ont été rencontrés par tous les groupes qui ont tenté de relancer la production de compagnies comme Ferrania ou Polaroid. Sur le sujet, on lira le chapitre « The Revenge of Film » dans David Sax, The Revenge of Analog, p. 51-74.

[19] Un deuxième modèle, le Gentoo, fut brièvement annoncé sur la page Facebook de la compagnie en mai 2022. Voir Jurgen Lossau, « Penguins do not Fly », Super 8, no 6, juillet 2022, p. 68.

[20] La nouvelle caméra Super 8 de Kodak devait initialement coûter autour de 400 $ US. Depuis 2018, Kodak annonce qu’elle coûtera plutôt entre 2500 $ et 3000 $. Quand on considère qu’une bonne caméra Super 8 (on pense à la série des Nizo par exemple) peut coûter sur eBay autour de 750 $, on voit bien que le modèle d’affaires a du plomb dans l’aile.

[21] On lira Lisa Chandler and Debra Livingston, « Reframing the Authentic: Photography, Mobile Technologies and the Visual Language of Digital Imperfection”, Proceedings of the 6th Global Conference, Visual Literacies: Exploring Critical Issues, Oxford, Royaume-Uni, Inter-Disciplinary Press, 2012, p. 1-15, http://www.inter-disciplinary.net/at-the-interface/wp-content/uploads/2012/05/chandlervlpaper.pdf

[22] Felix Richter, « The Vinyl Comeback Continues », Statista, 12 janvier 2022, https://www.statista.com/chart/7699/lp-sales-in-the-united-states/. Lire aussi David Sax, « The Revenge of Vinyl », dans The Revenge of Analog, op. cit., p. 3-28.

[23] Un article recent du Devoir signalait un regain d’intérêt pour le CD. Ce retour serait davantage lié à des enjeux économiques (le prix exorbitant du vinyle) qu’à une poussée nostalgique. Voir https://www.ledevoir.com/culture/musique/750648/musique-la-surprenante-renaissance-du-cd.

[24] Cathy Free, « Sales are booming at Manhattan typewriting store, mostly thanks to young people (and Tom Hanks) », https://www.washingtonpost.com/dc-md-va/2018/09/24/sales-are-booming-manhattan-typewriter-store-mostly-thanks-young-people-tom-hanks/.

[25] Voir Gilbert Simondon, Sur la technique (1953-1983), Paris, Presses universitaires de France, 2014 et Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Aubier, 1989 [1958].

[26] Il y aurait lieu de s’étendre sur le cuir de la poignée, qui s’oppose au plastique de l’enveloppe de la caméra. Au-delà du confort que cette matière cherche à assurer, c’est sans doute la seule dimension proprement vintage de la caméra.

[27] Voir Elie During, « Le skateboard fait penser », Critique, nos 740-741, 2009, p. 77-93.

[28] Il serait intéressant de comparer l’évolution qui mena de l’utilisation de la lentille fisheye à la généralisation des caméras Go-Pro, pour filmer des exploits sportifs, ou de s’attarder sur la relation entre le skate et la VX1000. Pour ce faire, voir notamment « VX1000 et Skate : une histoire d’amour qui a plus de 20 ans », Jacker, https://jackermag.com/skate/vx1000-skate-histoire-damour/.

[29] Voir Michael Archambault, PetaPixel, 13 juillet 2015, https://petapixel.com/2015/07/13/the-lumenati-cs1-smartcase-turns-your-iphone-into-a-classic-cinema-camera/.

[30] Un film de fiction, The Lords of Dogtown (Catherine Hardwicke), sorti en 2005 et écrit par Stacy Peralta, retrace également l’histoire de la Zephyr Team.

[31] Un survol rapide des vidéos de skateboard des 15 dernières années confirme à l’envi cette valorisation d’une esthétique du « filmique » (souvent doublée d’un look vidéo vintage). On pense aux films de Pontus Alv, I like it inside my mind, don’t wake me up this time (2016), ou encore à ceux de deux artistes montréalais, Jeremy Elkin (Elephant direct, 2010) et Éric Lebeau (Lazy Paparazzi, 2007). Merci à Félix Faucher et Karl Lemieux pour les références.

[32] Je tiens à remercier Karl Lemieux et Félix Faucher qui ont nourri cette section du texte.

[33] Dans son essai sur les usages contemporains de la photographie, Giuseppinia Sapio écrit « l’ajout du grain crée l’idée d’une continuité symbolique à un réservoir d’images familiales » (“adding grain gives the idea of symbolic continuity to the reservoir of family images”). Voir Giuseppina Sapio, p. 46.

[34] Voir Wolfgang Funk, Florian Gross, Irmtraud Huber, The Aesthetics of Authehticity. Medial constructions of the real, New York, Columbia University Press, 2012 ainsi que le chapitre « Authenticy and Identity » dans J. Patrick Williams, Subcultural Theory: traditions and concepts, 2011.

[35] La citation mérite d’être reproduite tout au long : « What is the Super 8 lifestyle? Do you mean the lifestyle of the filmmaker who chooses Super 8 as the way they want to tell a story or “Lifestyle Filmmaking shot on Super 8 film”? / After giving this some thought, I think I have decided it is both. There is a certain type of filmmaker who defines the Super 8 lifestyle, and clearly chooses to tell stories on this medium. They are independent. Hands On. Above average intelligence. They like counter-culture. They are a risk taker. Personable. Humble. Modest. Generous. Grateful. Patient. And, amazingly creative. The Super 8 filmmakers that I know who are the most successful with their Super 8 filmmaking possess a majority of these qualities. And it is these qualities that really put these filmmakers in a league of their own when it comes to getting the shots that are romantic, playful, emotional, personal, intimate, and heartfelt. » Voir Pro8mm [blogue], 28 avril 2011, https://www.pro8mm.com/blogs/blog/is-there-a-super-8-life-style. Les liens entre culture, style de vie et technologie analogique auraient mérité un développement plus élaboré, au-delà de ces modestes suggestions.