oldweb.today

Mise en contexte

On a tendance à l’oublier, mais les navigateurs web (tout comme les systèmes d’exploitation, un sujet qui mériterait à lui seul une fiche complète) se succèdent à grande vitesse, depuis les 30 dernières années. En 2015, l’organisme Rhizome (spécialisé en préservation et en diffusion d’œuvres artistiques numériques) a développé, avec le concert d’Ilya Kreymer et Dragan Espenchied, un émulateur permettant de recréer l’expérience de navigation du web à partir de différents combos de systèmes d’exploitation (Windows, Macintosh ou Linux) et de logiciels de navigation (Mosaic, Netscape, Internet Explorer, etc.) devenus (ou rendus) obsolètes. Il est possible de consulter des sites web actuels à travers ces émulateurs, ou bien de naviguer dans les archives de sites web constituées par l’institution Internet Archive, active depuis 2001 (plus particulièrement avec l’outil The Wayback Machine qui répertorie et rend accessible des captures de sites web prises dès 1996).

La place de ce projet

Les émulateurs ont plusieurs fonctions : ils permettent de traduire en logiciels des composantes matérielles; ils permettent de faire fonctionner de « vieux » logiciels qui ne sont plus soutenus par les nouvelles versions de systèmes d’exploitation; ils offrent un nouveau regard sur des objets numériques (délaissés ou non); et, enfin, ils mettent en évidence certaines contraintes (notamment de design) liées aux technologies de l’époque d’où ces objets émergent (dans le cadre de la présente fiche, la période 1995 à 2005). En somme, les émulateurs permettent de se replonger dans certains contextes historiques, bien qu’il y ait des distorsions inhérentes à chacune des solutions. Ils ont une importance capitale, à tout le moins dans le cadre de la recherche historique en informatique, Internet et jeu vidéo.

Radio-Canada. 2000. « Zone Jeunesse ». En ligne. Archive consultée via oldweb.today, 11 mars 2022. https://oldweb.today/?browser=ie5#https://web.archive.org/web/20000815063128if_/http://radio-canada.ca:80/jeunesse/.

En consultant les archives de Radio-Canada Jeunesse, j’ai l’impression de reculer dans le temps. Je me souviens d’avoir consulté le site dans le bureau de mon père, lorsque ce dernier me permettait de naviguer sur le web (sous sa supervision) après avoir fait mes devoirs. Je devais avoir huit ou dix ans (donc entre 1998 et 2000). Mon père prenait le temps de « collectionner » les sites web, ceux annoncés dans le journal La Presse que l’on recevait bien roulé, en format papier. Il conservait les articles consacrés à des sujets qui étaient susceptibles d’intéresser mon frère, ma sœur ou moi. Il y avait quelque chose d’exotique à trouver ces sites. On n’y pense plus, mais les répertoires en ligne tels que Google, Yahoo! ou La Toile du Québec étaient accompagnés à cette époque de publications papier qui tentaient d’inventorier les sites web, une tâche qui, aujourd’hui, peut sembler ridicule (quoique ces mêmes livres sont à leur tour une source précieuse pour repérer les sites web des années 1990 et du début des années 2000).

L’émulateur oldweb.today reproduit la lenteur de la connexion Internet des années marquées par Explorer et Netscape. Parfois, l’émulateur reproduit la frustration de ne pas voir s’afficher le contenu après quelques dizaines de secondes (parfois de minutes) d’attente : les archives manquantes pour les dates sélectionnées, les sites web qui ne sont pas toujours optimisés pour la combinaison du navigateur et système d’exploitation sélectionnée, ou une simple erreur de connexion ajoutent un peu d’incertitude dans l’exploration des sites web figés dans la Wayback Machine. Certaines choses échappent toutefois aux transpositions permises par oldweb.today. Internet du début des années 2000 sentait quelque chose de particulier. En fait, ce n’est pas tant Internet que les lieux où se trouvaient les ordinateurs qui dégageaient des odeurs particulières : l’ozone, celle émise par l’électronique des écrans cathodiques; la statique produite par ces mêmes écrans; la poussière des salles d’informatiques aux fenêtres calfeutrées; les livres dans les rayons de la bibliothèque de l’école Sophie-Barat. C’était ça aussi Internet : un endroit physique pour y avoir accès, qui n’est pas au bout des doigts 24 heures sur 24, qui ne se « scrolle » pas à l’infini avec son pouce[1].

oldweb.today permet d’ouvrir une fenêtre sur les pratiques de design en ligne aux débuts de la mise en ligne de sites web corporatifs et personnels, avec la création de pages minimalistes pour ne pas faire exploser les forfaits modem de ceux qui avaient accès au web à la maison. Ce web d’avant proposait un format de page près du ratio 4:3 des moniteurs, des menus fixes, des tableaux informatifs qui n’étaient pas esthétiques, mais qui donnaient accès aux contenus. Retourner dans ces pages créées il y a (parfois plus de) 20 ans, c’est constater que certaines fonctionnalités qui semblaient de base à l’époque ne fonctionnent plus aujourd’hui (par exemple, les menus déroulants ou les boutons codés directement en HTML dans chacune des pages, qui ne permettent plus de naviguer). C’est également se rappeler que Flash est bel et bien mort et que, désormais inaccessibles[2], certains jeux et animations précédemment mis en ligne dorment probablement dans des disques durs oubliés.

Réception

This new rage for the old web is being driven by a collision of two merging trends: nostalgia for the past and preservation for the future. And we’re always barreling toward the next big software update or some flashy new gadget. But experts warn that while we’re upgrading toward the future, we might also be failing to chronicle its history. The average life of a webpage runs no longer than 100 days. It’s difficult to imagine, but with each successive update or new technology, today’s photos, documents and data become more unreachable and unreadable, says Jason Scott, from the Internet Archive in San Francisco.

Leslie Nguyen-Okwu, « Meet the Gravediggers of the Internet », Ozy, 18 juin 2016, https://www.ozy.com/the-new-and-the-next/meet-the-gravediggers-of-the-internet/68434/.

Today’s web browsers want to be invisible, merging with the visual environment of the desktop in an effort to convince users to treat « the cloud » as just an extension of their hard drive. In the 1990s, browser design took nearly the opposite approach, using iconography associated with travel to convey the feeling of going on a journey.

« Cyberspace, the old-fashioned way », Rhizome, 30 novembre 2015, https://rhizome.org/editorial/2015/nov/30/oldweb-today/.

Preserving [Net Art] is not just a matter of uploading old computer files. « The files don’t mean anything without the browser, » Mr. Connor, 38, said. « And the browser doesn’t mean anything without the computer » it runs on. Yet browsers from 15 or 20 years ago won’t work on today’s computers, and computers from that era are hard to come by and even harder to keep working.

Frank Rose, « The Mission to Save Vanishing Internet Art », The New York Times, 21 octobre 2016, https://www.nytimes.com/2016/10/23/arts/design/the-mission-to-save-vanishing-internet-art.html.

Notes

[1] Même si 97 % des foyers québécois ont accès à Internet (selon le rapport NETendances de 2020, p. 5), les bibliothèques publiques jouent encore un rôle crucial dans l’accès au web pour certaines populations marginalisées (telles que les personnes en situation d’itinérance ou à faible revenu).

[2] Hormis ceux conservés dans des projets de grande envergure à la BlueMaxima’s Flashpoint.