La popularité nostalgique du drive-in en temps de COVID-19

État des lieux

Plusieurs articles et médias ont observé un phénomène intéressant provoqué par la fermeture des salles de cinéma à travers le monde due à la pandémie de COVID-19 : un regain d’intérêt pour l’aménagement extérieur rétro/nostalgique/vintage qu’est le drive-in. Sous quelles modalités analyser ce retour du drive-in dans l’imaginaire populaire?

Modalités observées liées à ce phénomène de résurgence

On dénote notamment une relation nostalgique à ce lieu, éprouvée par plusieurs générations en même temps (génération Y, génération Z, Boomers), ainsi qu’une volonté de retrouver des temps plus tranquilles[1]. La décennie des années 1950 et l’esthétique rétro s’en trouvent ravivées (point culminant du drive-in : 1958). Le retour du drive-in vient combler un manque quant au besoin d’événements live (« communal experiences ») en cette période de pandémie.

On remarque entre autres la conversion de certains parkings de salles de cinéma en drive-in. Il y a, dès lors, la possibilité de repenser l’expérience cinématographique en temps de COVID-19, en fonction de ce qu’elle était dans les années 1950. On se demande notamment s’il ne faudrait pas ajouter des spectacles ou des apparitions en direct, installer des lieux conviviaux aux alentours de la projection ou programmer des apparitions occasionnelles de stars. Certains prétendent que ce regain d’intérêt pour le drive-in en entraîne un autre pour certains genres de film en particulier – films familiaux, films d’action, films d’horreur et autres films de genre et d’exploitation (NBC.com).

La nostalgie du drive-in est aussi associée à la possibilité qu’il y avait autrefois de voir des films sur de très grands écrans. L’expérience nostalgique propre aux années 1950 est toutefois aujourd’hui revampée par des technologies améliorées, pour s’accorder aux codes et aux désirs actuels (IMAX, AVC promettant en temps normal une « exhanced experience » pour les spectateurs).

Certains festivals, comme le Tribeca Film Festival, ont planifié des projections publiques extérieures pour s’adapter au contexte pandémique de l’été 2020. Le « Tribeca Drive-In », par exemple, a été organisé selon des soirées thématiques (avec par exemple des films projetés pour un « girl’s night out »). Le côté nostalgique a été mis de l’avant avec la projection de films « phares » (comme pour le 40e anniversaire de Jaws (1975) de Steven Spielberg), en plus d’une sélection d’une trentaine de films issus majoritairement des années 1990-2000.

Le drive-in agit ainsi comme un remplacement partiel de l’expérience en salle (voir un film dans le noir et partager le sentiment de communauté). À travers ce regain d’intérêt pour le drive-in, se reflète l’idée que l’on peut se perdre dans l’écran, mais jamais dans celui de la télévision, comme l’écrit le journaliste Roger Ebert : « As the viewer I can contain television—but the movies are so large they can contain me. I can’t lose myself in a television image, and neither, I suspect, can most other people. »

Synthèse

Le retour de l’expérience du drive-in agit comme une réponse directe aux mesures de confinement. Son but est opératoire et non dirigé par un sentiment de nostalgie généralisée (comme c’est le cas avec beaucoup d’objets des années 1980 et 1990). La nostalgie survient donc par l’action de retourner physiquement vers un lieu délaissé, oublié du temps et des pratiques culturelles, mais très populaire à une époque ciblée (ici les années 1950). Le drive-in re-popularisé en 2020 se révèle ainsi comme un lieu qui condense plusieurs temporalités et époques, autant au niveau de l’espace (revisite concrète du lieu dans un temps présent) que des films programmés : nouvelles sorties + films cultes + films de genre pour soirées thématiques cohabitent en une même sélection. On observe ici une certaine volonté de convergence. En saison estivale, le drive-in a semblé être le lieu désigné pour assurer une survie aux films et, par conséquent, les festivals se sont aussi adaptés à cette idée. Il y a également convergence au niveau des générations concernées par ce « retour ».

La pandémie vectrice de nostalgie

La nostalgie qui résulte de ce nouvel engouement pour le drive-in n’est pas une nostalgie « isolée » : au contraire, elle est le symptôme d’un phénomène plus large quant à lui, lié de près à la crise sanitaire mondiale. Plusieurs articles ont parlé d’une « frénésie nostalgique » et d’une « consommation nostalgique », qui s’expliquent logiquement par l’incertitude et l’anxiété qui ont régné durant la pandémie. Retourner à une expérience qui évoque le souvenir d’une époque connue, voire plus heureuse, comme l’enfance, est une réponse logique à cette incertitude.

La nostalgie qui découle de cette relation au passé peut aussi être une façon de mieux envisager l’avenir, voire de l’orienter, et de nous poser les questions suivantes : que faut-il garder des pratiques d’aujourd’hui? Peut-on être nostalgique d’un temps « pré-COVID-19 » qui portait la possibilité d’un futur moins instable, même si la temporalité est très rapprochée?

Notes

[1] Voir notamment Elisaveta M. Brandon, « How the American Drive-In Staged a Comeback », Bloomberg City Lab, 4 septembre 2020, https://www.bloomberg.com/news/articles/2020-09-04/did-the-pandemic-save-the-drive-in-movie-theater et Bryan Reesman, « The coronavirus emptied movie theaters. But it’s resurrecting the drive-in », NBC News, 5 juin 2020, https://www.nbcnews.com/think/opinion/coronavirus-emptied-movie-theaters-it-s-resurrecting-drive-ncna1225121.