Présentation
Le Vitascope LK601 est un casse-tête 3D en bois conçu par la compagnie californienne ROKR et fabriqué en Chine par Robotime Technology. Le produit est disponible depuis le printemps 2019[1]. Selon la formule de la publicité, il s’agit du « World’s first battery-free 3D wooden assembled retro-projector ».
Contexte
La compagnie ROKR s’est spécialisée, depuis plusieurs années, dans la production de casse-tête en bois représentant des objets « mécaniques ». Outre le projecteur Vitascope, on leur doit un Classic Gramophone, une Victorian Lantern Music Box, des trains, des voitures, une Steampunk Music Box, mais aussi un Rambling Rover Space Hunting Solar Energy Car inspiré par les véhicules produits par la NASA. La popularité des casse-tête 3D (surtout pour la construction de modèles architecturaux) se mêle ici à la passion du « mécano » et à un engouement pour les inventions de l’âge de la machine. Parmi les modèles créés par ROKR, on trouve des objets inspirés par des appareils ayant réellement existé (le Gramophone d’Edison par exemple) ou encore des objets imaginaires, tout droit sortis de la culture steampunk (fantasme d’un rétro-futurisme victorien qui ne serait jamais passé totalement dans l’âge de l’électricité et de l’électronique). Il n’est par ailleurs pas impossible d’avancer que ces modèles réduits soient liés, obliquement, au succès d’un jeu comme Minecraft. Désormais, le défi est de construire des objets, non pas dans un espace virtuel, mais dans la réalité et en renouant avec le plaisir du contact avec la matière et la qualité des gestes que cette dernière nécessite pour entraîner le mécanisme.
Description
Le Vitascope LK601 se compose de 183 pièces en bois et de quelques composantes en métal et en plastique. Son assemblage ne nécessite aucune colle et se présente, par conséquent, comme parfaitement « vert ». Le projecteur vient avec une petite dynamo qui, une fois activée par l’entraînement d’une manivelle, actionne une ampoule servant d’illuminant. Il vient également avec une bande de pellicule de 24 mm de large (simulant la pellicule 35 mm) composée de 58 photogrammes. On retrouve, sur la bande de pellicule acétate montrant un bref segment, dessiné et stylisé, une scène de Modern Times de Chaplin. Le ratio des images est en 16:9 plutôt qu’en 1,37, comme l’aurait voulu le standard Academy des années 1930.
Modalités du rétro
Comme pour beaucoup d’objets rétro, le Vitascope de ROKR puise son imaginaire dans un passé largement réinventé, auquel il cherche tout de même à être fidèle. En effet, le nom Vitascope accolé à ce projecteur en bois n’est nullement une reproduction d’une machine ayant existé, et encore moins une réplique du Vitascope (même si dans certaines publicités, on fait allusion à l’appareil d’Edison).
Le Vitascope est le nom d’un projecteur électrique perfectionné par Edison en 1895 et basé sur une invention de Jenkins et Armat, permettant de projeter des bandes de pellicule conçues pour le Kinétoscope. À la différence de plusieurs projecteurs de l’époque, le mécanisme d’entraînement est électrique et mécanisé (comme l’était le Kinétoscope), plutôt qu’à manivelle.
S’il existe d’innombrables projecteurs qui ont circulé dans les 30 premières années après l’invention du Cinématographe Lumière, dont certains étaient notamment conçus comme des jouets (tels que ceux créés par Pathé, Edison ou Gaumont), aucun d’entre eux ne s’apparentait, de près ou de loin, à celui de ROKR. Très peu de ces projecteurs ont une bobine réceptrice à l’arrière – le plus souvent, elle se situera en dessous, comme avec le Keystone Moviegraph ou encore le très curieux Home Kinetoscope d’Edison (1912).
Peu de projecteurs jouets de l’époque fonctionnaient sur une logique de boucle (on visionnait le film et il fallait alors recharger la bobine pour le revoir). Le Vitascope de ROKR récupère quant à lui le principe de la boucle d’images, celui à la base du Kinétoscope et de quantité d’autres jouets optiques du XIXe siècle (c’est aussi le principe du gif).
On ressent alors la nostalgie d’un geste largement « fantasmé » : celui de devoir tourner la manivelle d’un projecteur pour actionner des images, mais ce geste est effectué sur un appareil qui est une pure fiction, une pure création imaginaire fondée sur une passéité projetée. Le souci d’authenticité est moins lié à la machine réelle, qu’à l’intelligence mécanique de l’époque qui a conçu ce type de dispositif.
« Frame by frame, piece by piece, the old stories are now playing in the ROKR vintage movie projector, with the clicking sound of frame change », peut-on lire sur la boîte du projecteur. On cherche ici à créer une association, par analogie, entre les photogrammes, les morceaux du puzzle et l’histoire qui, quant à elle, se projette rythmée par le son de la machine (une machine à remonter dans le temps). En d’autres mots, la construction de l’objet et la manipulation du projecteur « actionnent » une mise en récit du passé auquel on nous permet de « retourner ».
Sur l’arrière de la boite, une étrange légende se lit : celle d’un certain River, projectionniste à la retraite (métier aujourd’hui obsolète comme les appareil qu’il opérait), dont le plaisi, consiste (mais ce n’est pas bien clair) à « utiliser le film (la pellicule?) pour enregistrer des clips mémorables et les projeter aux membres de sa famille et à ses vieux amis sur Vitascope. Chaque scène du film symbolise « l’éternité ».
Il n’est pas clair à quoi renvoie ce récit paratextuel puisque, dans un premier temps, ce Vitascope ne permet pas de projeter des films de famille. On ne sait pas si ce River est ici le client type (maintenant qu’il est à la retraite et peut prendre 4 h pour faire des casse-tête) ou s’il en est le reflet (River serait aux humains ce que ce projecteur est aux appareils). De la même manière que la scène de Modern Times est une sorte de métonymie du « bon vieux temps » en noir et blanc (bien qu’en 1931 peu de projecteurs fonctionnaient encore à manivelle), River est une sorte d’allégorie de l’obsolescence.
Réception
Malgré nombre de clients insatisfaits, le produit a profité d’un rayonnement exceptionnel (une stratégie promotionnelle très active a contribué très certainement à son essor). D’innombrables vidéos sur YouTube en font l’éloge (avec parfois des avis nuancés) et la mode du « unboxing » a trouvé un objet de choix (ça semble avoir été le cadeau de Noël prototypique des années 2019, 2020 et 2021). Le succès de l’entreprise a conduit ses créateurs à proposer des modèles qui allaient permettre de tirer de nouvelles bandes de pellicule sur mesure (vous pouvez avec un peu de savoir-faire réaliser vos propres gif sur pellicule).
Notes
[1] Voir la campagne Kickstarter : https://www.kickstarter.com/projects/rokr/rokr-lk601-vitascope-hand-crank-film-projector.