Stranger Things est une série américaine produite par Netflix dont la première saison a été diffusée en 2016. Dès les premiers visuels – dont les couleurs bleu et rouge néon, l’effet bande dessinée appliqué à l’image ainsi que la composition rappelant les affiches de films des années 1980 –, la série arbore une esthétique renvoyant aux classiques de l’horreur et du fantastique de ces même années. Elle se construit autour d’un récit fantastique typique suivant les aventures d’un groupe d’enfants confrontés à des évènements paranormaux venus troubler le calme de la ville fictionnelle de Hawkins. Ainsi, Stranger Things est pensée comme un hommage aux années 1980, à ses films et à ses technologies, mettant le concept de nostalgie au centre de la construction de son monde.
La première bande-annonce, diffusée le 15 juillet 2016, s’ouvre sur l’image d’un radiocassette de marque Panasonic modèle RX-5090. On comprend, d’emblée, l’importance que jouera la technologie dans la série, tant en termes de construction d’un monde cohérent que de références aux tropes cinématographiques de l’époque référencée. Dans la bande annonce, un combiné de téléphone pend au bout de son fil, signe d’un appel interrompu à la suite d’un message effrayant.
Le succès de la série s’accopagne une stratégie transmédiatique pour étendre l’univers de Stranger Things par divers produits dérivés, dont l’exemple le plus représentatif est l’appareil photo instantané à l’image de la série en collaboration avec Polaroid. Comme cet appareil, les objets commercialisés par Netflix sont cohérents avec le monde rétro développé dans les épisodes. On propose ici d’étudier ce phénomène de constitution d’un monde rétro au sein de la série en questionnant la pertinence technologique des appareils qui y apparaissent et aussi des quelques exemples de produits dérivés qui en découlent. Trois points serviront d’axes d’analyse : d’abord les relations intertextuelles établies entre la série et ses inspirations cinématographiques, puis les technologies présentes dans certains épisodes et leur utilisation par les personnages et, finalement, la place du jeu vidéo dans la série et ses adaptations externes.
La place du cinéma
Plus que de simples clins d’œil, les références disséminées constituent l’ADN de Stranger Things et permettent de penser que le récit n’est qu’un prétexte pour rendre hommage à l’âge d’or du cinéma de genre. Si l’on s’intéresse au premier script des frères Duffer (réalisateurs de la série) intitulé Montauk, an Epic Tale of Sci-fi Horror, il apparaît clairement que cette intention est à l’origine du show. La proposition prend la forme d’un livre à la Stephen King et, à ce sujet, Matt Duffer ira jusqu’à confesser :
We literally took the Firestarter paperback and pasted a picture of a bike ontop of it and changed the font to our font. So yeah, and that was the idea, the idea what we really wanted the show, we wanted it to be like, « This is what it felt like when we were in middle school or high school reading those paperbacks. » So that’s what we wanted it to evoke.
Il s’agit de reconstituer une époque mais surout de créer chez les spectateurs plus âgés le sentiment de revivre certaines scènes de leur enfance. L’introduction de ce document explicite, d’autant plus, cette idée :
Montauk is an eight-hour sci-fi horror epic.
Set in Long Island in 1980 and inspired by the supernatural classics of that era, we explore the crossroads where the ordinary meets the extraordinary.
The felling of fear and wonder as Elliot approaches a fog-drenched shed in E.T.… the helpless dread that consumes Chief Brody as he watches a boy and his raft dragged under the water by an unseen monster in Jaws… the crackling television in Poltergeist… the horror of a cackling clown in It… the friendship and adventure of Stand By Me…
Emotional, cinematic, and rooted in character, Montauk is a love letter to the golden age of Steven Spielberg and Stephen King—a marriage of human drama and supernatural fear.
Par ailleurs, les paragraphes sont séparés par des pages pleines qui reprennent des plans des films mentionnés ici. Le document à l’origine du projet présente ainsi deux formes d’intertextualité : l’allusion implicite avec des reprises formelles de plans et des citations explicites à des films que regardent ses personnages.
1. Intertextualité implicite, allusions visuelles aux classiques des années 1980
L’une des images emblématiques de la première saison montre un véhicule projeté en l’air par le cortège d’enfants à vélo.Le personnage d’Eleven y utilise ses pouvoirs télékinétiques pour permettre aux garçons d’échapper à leurs poursuivants rappellant la célèbre scène de E.T.
Sur ce modèle, de nombreuses scènes de la série calquent des scènes tirées de films cultes; par ces citations cinématographiques, les médias ainsi que les communautés de fans sont invités à repérer les références cinématographiques. On peut citer les vidéos réalisées par Ulysse Thevenon qui proposent des splitscreens montrant le souci du détail dans ces références en mettant l’original et la copie en vis-à-vis[1]. Ainsi, en étant issues de films allant des années 1970 au milieu des années 1980, films qui appartiennent donc à la supposée bibliothèque visuelle des personnages de la série, les citations visuelles visibles dans la série Stranger Things poursuivent l’idée de cohérence du monde. Conformément à l’idée développée par Umberto Eco dans son article « Cult Movies and Intertextual Collage »[2], les références introduisent une intertextualité ainsi qu’une conscience collective de celle-ci; autrement dit, il s’agit de faire allusion à ces films et à leur dimension culte, en utilisant ces références pour produire un monde qui renvoie à l’imaginaire d’une époque. Par ce procédé, la série stimule une nostalgie des années 1980 qui, d’ailleurs, semble déjà caractériser les années 2000 avec notamment des remakes comme Halloween (2007) et Poltergeist (2015). Cette méta-nostalgie fait de Stranger Things un objet dont le caractère rétro pose certains problèmes, puisqu’il cite implicitement certaines œuvres par sa forme et que, explicitement, il en fait apparaître d’autres. Ainsi, le monde créé répond aux règles de films qui apparaissent dans leur propre diégèse[3]. L’une des explications possibles de ce phénomène est que les personnages de la série recréent de manière inconsciente les scènes de leur environnement cinématographique, mais il semble évident, au vu de la bible Montauk, que la série répond avant tout à une volonté de reproduction de films cultes plus qu’à des règles strictes de construction de mondes. Cette hypothèse créant un lien entre les personnages et les spectateurs qui partagent une même bibliothèque collective de films de genre est cependant exploitée dans la série.
2. La citation, tentative de continuité du monde
Dans la troisième saison, la salle de cinéma est un lieu clé. Le premier épisode commence alors que les personnages essayent d’entrer clandestinement dans une salle où est projeté Back to the Future. Notons d’abord que cette séquence est historiquement vraisemblable, puisque l’action a lieu durant l’été 1985 et que le film de Robert Zemeckis fut à l’affiche le 3 juillet de cette même année. Cet environnement cinématographique qui renvoie à une mémoire collective qu’on pourrait qualifier de nostalgique est associé au centre commercial. Ce dernier lieu est une référence à la fois aux films de l’époque – notamment durant le dernier épisode de la saison durant lequel se déroule une chasse aux monstres dans un centre d’achats qui rappelle Dawn of the Dead (1970) et ses mall zombies – et à un espace de salle de cinéma vécu ou fantasmé. Ainsi, dans les couloirs du centre commercial, on trouve de nombreuses affiches de films dont celle de Day of the Dead (1985), référence évidente d’une saison horrifique se développant autour du thème du zombie. Ainsi, dans Stranger Things, un soin particulier est accordé à la salle de cinéma : on assiste à une coupure de courant électrique lors d’une projection, point de départ de l’intrigue. La série joue de ce fait avec une dimension référentielle qui sert autant à construire son univers qu’à faire avancer son intrigue. On aperçoit plus tard le personnage de Dustin devant un projecteur 35 mm, une scène qui témoigne une nouvelle fois du souci du détail dans la constitution de cette version alternative des années 1980.
Le cinéma est également consommé sur les différentes télévisions qui apparaissent au fil des épisodes et, si la plupart suivent cette même idée de citation, l’une d’entre elles permet de souligner également ce double rapport entre citation et allusion en accentuant le sentiment de contamination de l’univers par les médias qui y sont consommés. Une scène de The Terminator (1984) est entre autres visible alors que l’un des personnages, possédé par une entité surnaturelle, poursuit les autres protagonistes. Dans cet exemple, les deux formes d’intertextualité se superposent, démontrant que la série assume les incohérences de son univers et privilégie sa dimension nostalgique.
À travers ce réseau de citations et d’allusions, Stranger Things construit un rapport avec le cinéma qui encourage la nostalgie chez le spectateur. C’est souvent sur le mode du clin d’œil plus que sur celui de la narration ou de la cohérence modale que s’emboitent les éléments de la série, une stratégie médiatique qui répond parfaitement à la volonté de satisfaction des pulsions nostalgiques de ses spectateurs. Par ailleurs, ces éléments se retrouvent dans tout l’univers visuel de la série, de la typographie du générique inspirée de celles des livres de Stephen King aux nombreuses affiches imitant celles des années 1980.
Le rôle des technologies
Si les références cinématographiques visibles dans la série Stranger Things mettent en place différents niveaux d’intertextualité, elles permettent également d’ajouter des détails donnant de la consistance au monde. Dans son article « I Made Another Planet Last Week! De la productivité de la notion de monde pour l’étude des médias », Marta Boni commente la distinction faite par Roland Barthes entre récits « fonctionnels » et récits « indiciels », rattachant les seconds aux détails qui composent l’espace visuel des séries télé sans avoir de réelle fonction et associant ceux-ci à l’idée d’environnement meublé d’Umberto Eco :
Dans le même sens, les mondes des séries télévisées ont été décrits comme des environnements somptueusement meublés, dans lesquels les objets du quotidien ont un rôle à part entière pour la définition du caractère de l’expérience, rendant possible la familiarisation du spectateur.
Cette même logique est adoptée, par les créateurs de Stranger Things, avec un souci particulier accordé aux éléments technologiques qui meublent l’espace de la série. Ces derniers jouent un rôle à la fois fonctionnel et indiciel qui, encore une fois, signale la volonté de produire un monde rétro cohérent et de mettre ce dernier au centre de la série. Les différents exemples analysés ci-dessous permettent de mettre en évidence les modalités d’apparition de ces appareils technologiques ainsi que les limites de leurs représentations qui ne peuvent faire apparaître fidèlement la réalité sans souligner les légères incohérences qui persistent.
1. La caméra JVC
Dès le début de la deuxième saison, la caméra JVC GR-C1 est introduite par le personnage de Bob Newby, un fonctionnaire multipliant les répliques caricaturales devant son téléviseur. Plusieurs intertitres précisent que l’action se passe en 1984, année de commercialisation de cet appareil. Ce dernier joue un rôle particulier dans la saison et son importance narrative constitue un exemple parfait d’une logique de construction technologique du monde que nous aborderons ici en plusieurs points.
A. La caméra JVC GR-C1 fonctionnait avec le format VHS-C, un intermédiaire entre le VHS employé jusqu’alors et le MiniDV qui, quelques années plus tard, finira de populariser la cassette vidéo en offrant un produit à bas prix. L’utilisation de cette caméra par Bob Newby, issu de la classe moyenne relativement aisée et technophile, semble en adéquation avec les caractéristiques historiques de l’appareil. Conformément à son personnage, Bob insiste sur l’innovation technologique que représente la caméra, lors de son introduction dans la fiction : « Come on you gotta get used to it. This is the future. » Or, la JVC, premier appareil compact synthétisant dans un même dispositif la capture et l’écriture sur la VHS-C, est effectivement une innovation importante dont la commercialisation dans les années 1980 s’est accompagnée de slogans. Ce sont ces slogans que répète le personnage de Bob.
B. Au-delà de cette présentation thématique, la série propose un plan subjectif à travers la caméra. Le format passe alors en 4:3. Cependant, si le rendu visuel correspond à une image cassette, il n’est pas conforme à la visualisation que proposait le viewfinderde la caméra d’origine et que tend à suggérer ce plan subjectif. Grisâtre, l’écran de retour de la JVC GR-C1 ne proposait effectivement pas une palette de couleurs telle que montre à voir le plan en 4:3. Par ce choix, la direction artistique prime donc sur la fidélité technologique.
C. L’apparition de la caméra JVC GR-C1 est également à relier à la sortie en 1984 de Back to the Future, référence cinématographique mentionnée précédemment. Dans ce film, la caméra est utilisée par le personnage de Marty McFly et cette référence est signe d’une appartenance au futur chez les personnages. Toutefois, dans la continuité du rétro développé parles frères Duffer, la JVC GR-C1 devient, dans Stranger Things, une technologie appartenant au passé.
D. Du point de vue des réalités sociales liées à l’utilisation de cet appareil, il est intéressant de noter que ce dernier est utilisé par Bob et les fils de Joyce, mère d’un des protagonistes enfants. Ainsi, la technologie et l’acte de capturer le quotidien sont deux caractéristiques attribuées aux personnages masculins. Cependant, l’unique interaction entre Joyce, le personnage féminin incarné par Winona Ryder, et la JVC est le moment où, donnant lieu à une scène de maladresses technologiques qui souligne l’innovation de la VHS-C, la caméra gagne un intérêt narratif.
E. Apprenant que son fils a été victime de harcèlement pendant la nuit de l’Halloween, Joyce décide de visionner la cassette qu’il a enregistrée pendant la soirée afin d’identifier ses assaillants. Maladroite, elle saisit la caméra JVC GR-C1 et peine à ouvrir le boitier contenant la cassette. À l’image, sa manipulation de l’objet est signe d’une ignorance technologique. Une fois la cassette retirée de son boitier, l’image coupe sur une vision de l’intérieur du lecteur VHS de la mère. On y aperçoit alors la main de celle-ci tentant de faire pénétrer la cassette VHS-C dans un lecteur inadapté au format. Introduite aux États-Unis en 1977, la VHS standard est déjà répandue dans les ménages en 1984; toutefois, le VHS-C n’est disponible qu’en 1982 et, par conséquent, la nouveauté de la technologie est donc conforme à la réaction de Joyce. Pour recevoir des réponses à ses questions, elle contacte Bob. Ce dernier lui donne des explications technologiques, dans un rapport patriarcal, et celles-ci conduisent Joyce à utiliser l’appareil avec son lecteur classique. L’utilisation de l’appareil, verbalisée par des indications précises, est extrêmement conforme aux caractéristiques techniques réelles de l’appareil. En effet, on aperçoit même, à l’image, l’adaptateur qui était fourni avec la caméra. Le plan de Joyce devant son téléviseur aborde également, de manière thématique, la question du regard s’habituant à la vidéo amateur et la consommant à domicile.
Cette scène se conclut par un cliché technologique et cinématographique. Avant même le visionnement des images, le spectateur sait déjà que l’agression de Will (le fils de Joyce) qui s’est déroulée lors de la soirée de l’Halloween a déclenché chez lui une vision horrifique. Le jeune garçon est en contact avec le monstre de la saison (le Mind Flayer) et il semble être le seul à voir celui-ci. Ce monstre, que tout le monde croit issu de l’imagination post-traumatique du garçon parce qu’invisible à l’œil nu, prend alors forme sur l’écran de la télévision. La bande vidéo comme révélateur d’éléments surnaturels devient ainsi une citation d’un trope récurent des films fantastiques de l’époque.
2. La photographie
Moins présentes que la JVC, les appareils photographiques ont un rôle plus ambigu puisqu’ils apparaissent dans le récit, mais sont utilisés sans nécessairement avoir d’impact particulier sur celui-ci.
A. L’apparition la plus marquante de la photographie se produit le soir de l’Halloween pendant lequel toutes les familles capturent des souvenirs de leurs enfants déguisés. Plusieurs appareils sont alors présentés, avec un montage qui les montre puis une reproduction des rendus photographiques correspondant à ceux-ci. Le son caractéristique d’un déclencheur sert alors de transition. Si la plupart des images sont fidèles à ce que pourraient produire réellement ces appareils, les images Instamatic ne respectent toutefois pas le ratio 1:1 du format 126. Dans la série, plusieurs appareils sont utilisés tels qu’un Polaroid One Step 600 Flash (années 1980), un Kodak Instamatic X-15 (1977-1988) et un Kodak Instamatic X-15 (introduit en 1970).
Ces détails techniques associés à un montage rapide inscrivent le récit dans une époque et, même si une analyse détaillée permet d’en révéler les limites, la tentative de respecter les caractéristiques des différents formats va dans le même sens. D’autre part, cette diversité de formats semble pointer vers une pluralité d’appareils conforme à leurs usages.
B. Dès la première saison, Jonathan, le grand frère de l’un des très jeunes protagonistes, est présenté comme le stéréotype de l’adolescent passionné de photographie. Son appareil est alors celui du voyeuriste et du marginal. Ses images permettent de découvrir la disparition de Barb, le récit suivant ainsi toujours le cliché de la photographie comme révélateur. Tout au long des saisons, Jonathan utilise le même Pentax ME Super. Ce boitier semi-professionnel, commercialisé par Pentax entre 1979 et 1984, correspond bien au personnage de Jonathan, qui pratique la photographie avec l’ambition d’en faire un métier mais sans avoir les moyens d’un photographe professionnel. Dans la deuxième saison, cette fois, son travail comme photojournaliste permet de développer les caractéristiques techniques de son outil de travail. L’espace de la chambre noire apparaît, dans cette saison, et est l’occasion d’un comique de répétition où Jonathan est interrompu par Nancy laissant entrer la lumière dans la pièce.
Dans l’un des épisodes, un gros plan donne une idée précise du matériel de Jonathan : Pentax ME Super; lentille Pentax Asahi 50 mm f/1.7 (1977-1984); flash Vivitar 283 automatique à thyristor (1970-2000). L’utilisation de cet équipement est fidèle aux usages de l’appareil à son époque d’origine, et le gros plan sur celui-ci semble pensé dans l’objectif de permettre au spectateur curieux d’étudier en détail les technologies – une forme de fétichisme. Dans cette scène, le flash utilisé est l’un des plus populaires de l’époque et le plus vendu de l’histoire. Il est intéressant de noter que l’une des caractéristiques de celui-ci est sa rapidité de rechargement (dix secondes pour atteindre 100 %, cinq secondes pour une recharge partielle). Dans une scène, Jonathan prend des photographies en rafale et le temps de rechargement est respecté.
Ces technologies photographiques deviennent, grâce à l’expertise de Jonathan, des éléments narratifs importants au milieu de la deuxième saison. Dans le quatrième épisode de cette dernière, des agents entrent par effraction dans l’appartement de Jonathan afin d’obtenir des informations sur Will. Ceux-ci prennent des photographies des lieux et l’on aperçoit alors un Polaroid 600 Flash. À ce moment, l’appareil ne semble pas avoir d’importance narrative autre que celle de signaler la surveillance qui se met en place autour de la famille. Dans l’épisode suivant, Jonathan trouve cependant une cartouche vide de Polaroid, ce qui le conduit à déclarer à Nancy que la maison a été fouillée par des étrangers, puisqu’il ne se sert pas de ce type d’appareil. Plus tard, les photographies de l’appartement sont utilisées pour interroger Will. On retrouve alors, conformément aux appareils utilisés par les agents, des Polaroid et des tirages 35 mm.
3. Autres apparitions technologiques
Bien que les appareils de capture d’images soient omniprésents dans Stranger Things, les radios et autres objets liés aux communications audio sont plus nombreux que ces derniers, qu’il s’agisse d’accessoires secondaires ou de piliers narratifs. Dès la première saison, les personnages utilisent des walkies-talkies pour communiquer et, au cours de saisons, on peut observer une évolution de ces appareils.
La troisième saison s’ouvre avec le personnage de Dustin qui annonce avoir mis au point une antenne radio. La construction de la tour de télétransmission permet de mettre en place une scène typique de teen movie qui finit sur la captation et l’enregistrement d’une conversation en russe par Dustin. Ce dernier est le point de départ de l’intrigue centrale de la saison : la réouverture de la faille de l’Upside Down par les « Russes ». À la fin de la saison, l’antenne permet aux personnages de communiquer entre eux ou avec d’autres personnes à distance et, par conséquent, offre l’occasion à Dustin d’appeler sa copine. Celle-ci connait le code pour désamorcer le système russe et aide Dustin à résoudre son problème. L’antenne radio de Dustin devient ainsi l’outil de résolution de l’intrigue.
4. Références technologique secondaires
Dans la deuxième saison, la nervosité de Nancy la pousse à briser la mine de son crayon et, de ce fait, à utiliser un taille-crayon mécanique dans une scène muette où seul cet élément conduit le récit.
De nombreuses scènes sont également introduites par la musique interne d’un disque vinyle.
À la fin de la troisième saison, deux personnages deviennent les employés d’un club vidéo.
Ce type d’inserts d’appareils de communication est fréquent.
En arrière-plan, la fermeture du labo Kodak souligne une forme de nostalgie rétro qui fait référence à l’époque du spectateur, alors que les enseignes de développement sont presque toutes fermées.
Contrairement aux appareils amateurs des personnages principaux, le photographe de la troisième saison utilise un Nikon F3 professionnel.
À la fin de la deuxième saison, la vidéosurveillance permet de visualiser les ennemis. Le signal est ensuite brouillé.
Le jeu Donjons et Dragon ainsi que les comics font partie des référents culturels qui construisent l’imaginaire des personnages principaux et qui expliquent leurs comportements face aux phénomènes surnaturels : apparition de monstres, disparitions inexplicables, etc.
Entouré de technologies et de figurines de collection, Murray incarne à la fois le complotiste et le geek ultime, collectionneur avant l’heure.
5. Le débordement
Cette accumulation technologique qui produit un monde cohérent s’accompagne également de certains débordements qui viennent prolonger la fiction dans le monde réel. Dans l’article cité précédemment, Marta Boni, prenant l’exemple d’un cocktail issu de Mad Men dont la recette précise permettait aux spectateurs de reproduire la boisson, conclut que « La saturation d’un monde est produite aussi par le débordement des détails visuels au-delà des limites textuelles et par leur entrée dans la vie de tous les jours. » (voir la référence dans la bibliographie). Pour Stranger Things, ce sont les appareils photo qui finissent par s’échapper de la fiction. En effet, la troisième saison donne lieu à une collaboration entre Netflix et Polaroid, un appareil à l’effigie de la série étant commercialisé. Ce dernier est créé sur le même modèle que les One Step inspiré du One Step original de 1977, mais a la particularité de comporter des inscriptions à l’envers faisant référence au monde de l’Upside Down de la série.
Un film spécifique est également commercialisé, et celui-ci correspond aux appareils de la série, en imitant le format des Polaroid 600. Cependant, il faut noter que le format de ce film ne correspond pas à la série One Step dont s’inspire l’édition spéciale Stranger Things.
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Rapport au jeu vidéo
L’extension de l’univers de Stranger Things à travers la marque Polaroid suit une logique commerciale qui caractérise l’ensemble de l’univers transmédiatique de la série. En effet, les extensions de celle-ci apportent peu d’éléments narratifs permettant d’étendre le monde. Plus qu’une logique de transmedia storytelling, c’est une logique de transmedia branding qui est mise en place. Dans une entrevue accordée au chercheur et essayiste Henry Jenkins, Burghardt Tenderich, professeur à la University of Southern California, Annenberg School for Communication and Journalism à Los Angeles, résume l’idée centrale de son livre Transmedia Branding: Engage Your Audience de la manière suivante :
If used in an advertising or public relations context, the term transmedia takes on a commercial meaning. The story is no longer at the center, but rather becomes more of a means to an end, where the end is—in most cases—primarily of commercial nature: to sell more of whatever you’re marketing.
Dans le cas de Stranger Things, c’est sans doute l’exemple des jeux vidéo entourant la série qui incarne le mieux cette idée. Trois exemples développés plus en détails dans les fiches permettent d’attester cette idée.
1. Monster Flash (Greg Findon, 2019)
Le jeu Monster Flash est un contenu promotionnel produit par le studio Club House sous la direction du développeur Greg Findon (également responsable du jeu Speed of Light réalisé pour Iron Maiden en 2015). Le projet est une collaboration entre Polaroid et la série Stranger Things pour la conception de l’édition spéciale de l’appareil One Plus aux couleurs de la série. Accessible à l’aide d’un code à entrer sur la page d’accueil de la compagnie Polaroid, le jeu reproduit l’expérience d’une salle d’arcade des années 1980, auxquelles renvoient les univers de la série et de la compagnie de photographie instantanée. Monster Flash reprend donc l’esthétique et le gameplay de véritables jeux des années 1980, et il en émule également certaines caractéristiques physiques, s’inscrivant ainsi de manière cohérente à la fois dans la période et dans le récit de Stranger Things. Ici, l’esthétique rétro est employée dans une démarche commerciale qui, par le biais de la série, permet de renvoyer un jeune public à l’univers des jeux d’arcade (particulier aux années 1980) qu’il n’a pas connu. Le produit dérivé joue ainsi un double rôle promotionnel : vendre la série et la caméra.
2. Stranger Things Palace Arcade Handheld Electronic Game
À la suite de la deuxième saison de Stranger Things, durant laquelle la salle d’arcade Palace devient l’un des lieux clés de la série, la compagnie de jeux Hasbro commercialise une borne d’arcade portable aux couleurs de la série : Stranger Things Palace Arcade Handheld Electonic Game. Ce produit dérivé s’adresse directement aux fans, en reprenant le nom de l’espace où est notamment introduit le personnage de Mad Max à travers un nouveau high score sur le jeu Dig Dug auquel s’adonnent les quatre jeunes protagonistes déjà présents dans la première saison. La console produite par Hasbro, assez rudimentaire, présente une sélection de 20 jeux : 4 sont des classiques Namco mentionnés dans la série Stranger Things et cohérents avec l’année 1983 durant laquelle se déroule l’action, alors que les 16 autres sont des versions modifiées de jeux d’arcade connus pour « coller » à l’univers de la série. Le peu de soin apporté aux jeux, en comparaison à la qualité graphique de l’objet, semble signaler que le produit est moins pensé pour être joué que pour être collectionné. Ainsi, sa dimension rétro servirait plutôt à en faire un produit décoratif. Ces éléments précédemment cités entrent parfaitement dans la logique du produit dérivé, puisqu’ils exploitent un univers rétro et en reproduisent les codes pour attirer un client de type collectionneur nostalgique.
3. Stranger Things: The Game
À l’occasion de la troisième saison de Stranger Things, un jeu vidéo reprenant les évènements de la série et permettant au joueur d’en incarner les personnages a été développé par le studio BonusXP Inc. Dans une entrevue, son développeur, Dave Pottinger, mentionne que ces références ont été les jeux Zombies Ate my Neighbors (1993), Contra III: The Aliens Wars (1992) et Goof Troop (1993), signalant d’emblée que si le jeu Stranger Things: The Game reprend l’univers des années 1980, sa jouabilité renvoie quant à elle plutôt aux jeux de la décennie suivante. Dave Pottinger, suivant la stratégie de communication de Netflix, insiste sur la fidélité du jeu à la série : « very appropriate for the time period of the show[4] ». Par exemple, il met en avant l’idée de jouer ensemble en parlant d’une grande époque de la coopération, pour qualifier son jeu de « couch coop console game ». Pourtant, les jeux qu’il donne comme références sont sortis dix ans après la série, qui se passe en 1984. Plusieurs appareils sont disséminés dans le jeu, comme dans la série, permettant au personnage d’interagir avec pour seul intérêt la construction d’un univers rétro. On trouve ainsi dans un cadre une photographie de l’Halloween prise dans la série, plusieurs radios, des téléphones, etc. Les ordinateurs, peu présents dans la série, sont toutefois nombreux dans le jeu vidéo et servent à la fois de sources d’information secondaires et d’interrupteurs pour les énigmes (permettant notamment le contrôle de caméras vidéo). Par exemple, dans la chambre de Dustin, un ordinateur permet au joueur d’accéder à un jeu textuel rappelant Colossal Cave Adventure (1976). Parodiant la difficulté du jeu textuel de ce dernier, toutes les options conduisent le personnage à la mort.
Conclusion : « La lettre de Hopper » comme parabole rétro
Stranger Things, par plusieurs procédés, produit un monde rétro qui, malgré quelques imprécisions, est d’une remarquable consistance. Si certaines des stratégies de communication tombent dans le piège de la mauvaise reconstitution faisant passer l’effet de rétro avant la fidélité historique, beaucoup de détails dans la série et les objets qui l’entourent participent à la construction d’un monde cohérent et navigable entre la fiction et le réel.
Concluant la troisième saison sur les images d’un départ larmoyant, une lettre écrite par Hopper et lue en voix off permet de synthétiser beaucoup des idées des frères Duffer. Cette lettre ne sera lue qu’après la mort du personnage, devenant pour les enfants comme pour les spectateurs la parabole d’un temps révolu, l’oraison funèbre de Hopper mais aussi d’un récit et d’une époque.
Feelings. Jesus. The truth is, for so long I’d forgotten what those even were. I’ve been stuck in one place. In a cave, you might say. A deep, dark cave. And then I left some Eggos out in the woods and you came into my life. For the first time in a long time, I started to feel things again. I started to feel happy. But lately, I guess I’ve been feeling distant from you. Like you’re pulling away from me or something. I miss playing board games every night, making triple decker Eggo extravaganzas at sunrise, watching westerns together before we doze off. But I know you’re getting older, growing, changing. I guess, if I’m being really honest, that’s what scares me. I don’t want things to change. So I think maybe that’s why I came in here, to try and make stop that change. To turn back the clock. To make things go back to how they were. But I know that’s naive. It’s just not how life works. It’s moving, always moving, whether you like it or not. And yeah, sometimes it’s painful. Sometimes it’s sad. And sometimes, it’s surprising. Happy. So you know what? Keep on growing up kid. Don’t let me stop you.
Le texte de Hopper incarne l’idée de nostalgie autant à travers les thèmes abordés – changement du lien retrouvé et du passage du temps – que dans sa forme, puisqu’il multiplie et entremêle plusieurs temporalités. Hopper remercie Eleven de lui avoir permis de revivre certains moments passés avec son propre fils, tout en réalisant qu’il ne retrouvera jamais ce passé. Pour Eleven, ces éléments évoquent des souvenirs d’un passé proche qu’elle a vécu avec son père adoptif récemment décédé et, à la lecture de la lettre, les larmes qu’elle verse invitent le spectateur à s’identifier à cette nostalgie en relation au temps réel où les board games et les gaufres Eggos sont les reliques d’un passé bien plus lointain. Ainsi, la série agit sur le spectateur comme l’a fait Eleven avec Hopper, en permettant sur une courte période de réanimer un souvenir dont l’appartenance au passé et le deuil restent nécessaires et inévitables.
À l’issu de la lecture du texte, on entend la chanson Heroes de David Bowie, dont la sortie en 1977 est compatible avec l’année 1984 où se déroule la série. Cependant, la version que l’on entend est celle de Peter Gabriel réalisée en 2010 au moment où Heroes est déjà un objet de culte rétro. Cette double référence est en accord avec une idée de la nostalgie comme relecture présente d’une période passée ainsi qu’avec l’idée de réactualisation de formes cinématographiques passées qu’incarne Stranger Things. On saisit, dans ce choix musical, toute l’ambigüité d’un rapport nostalgique qui crée des allers-retours entre les périodes et qui souligne ainsi le fait que la renaissance médiatique d’une époque est aussi la réaffirmation de son immuable fin.
Notes
[1] Ulysse Thevenon, References to 70-80s Movies in ‘Stranger Things‘, 2016, https://www.youtube.com/watch?v=wBjgFt6lVHM.
[2] « The required competence is not only inter-cinematic. It is inter-media, in the sense that the spectator must know not only other movies, but the whole of massmedia gossip about the movies. This third example presupposes a “Casablanca universe” in which cult has become the normal way of enjoying movies. Thus, in this case, we witness an instance of meta-cult, or of cult about cult—a cult culture. » Voir Umberto Eco, « Casablanca: Cult Movies and Intertextual Collage », dans Umberto Eco (dir.), Travels in Hyperreality (San Diego, New York et Londres : Harcourt Brace Jovanovich, 1986), p. 197-211.
[3] Un exemple contraire serait la série The Walking Dead, qui bien que clairement affiliée aux films de zombies n’emploie jamais ce terme. Robert Kirkman, dans un épisode de Talking Dead, explique l’absence du terme zombie de la manière suivante : « One of the things about this world is that people don’t know how to shoot people in the head at first, and they’re not familiar with zombies, per se. This isn’t a world the [George] Romero movies exist in, for instance […] because we don’t want to portray it that way, we felt like having them be saying ‘zombie’ all the time would hark back to all of the zombie films. »
Références
Barthes, Roland. « De l’oeuvre au texte », dans Le bruissement de la langue. Paris, Seuil, 1984, p. 69-77.
Eco, Umberto. « Casablanca: Cult Movies and Intertextual Collage ». Dans Travels in Hyperreality, sous la direction d’Umberto Eco. San Diego, New York et Londres, Harcourt Brace Jovanovich, 1986, p. 197-211.
Eco, Umberto. Les limites de l’interprétation. Paris, Grasset, 1992 [1990].
Jenkins, Henry. « Engaging with Transmedia Branding: An Interview with USC’s Burghardt Tenderich (Part One) ». 1er octobre 2015. http://henryjenkins.org/blog/2015/10/engaging-with-transmedia-branding-an-interview-with-uscs-burghardt-teindrich-part-one.html.
Boni, Marta. « I made another planet last week! De la productivité de la notion de monde pour l’étude des médias. » Dans Du média au post-média. Continuités et ruptures, sous la direction de Nicolas Dulac. Lausanne : L’Âge d’Homme, 2022.