Daguerreotype

Présentation

Le Daguerreotype Achromat est un objectif de Lomography que l’on peut attacher à sa caméra (argentique ou numérique) pour altérer la profondeur de champ et/ou pour ajouter une décoration on ne peut plus rétro à sa camera, et dans lequel on peut insérer des plaques d’ouverture qui changent encore davantage les images.

Mise en contexte

Depuis près de dix ans, de nombreuses techniques photographiques précédant l’argentique ont été remises au goût du jour par des artistes, des amateurs ou des professionnels : prenons pour exemples la pratique de Maryse Goudreau, photographe originaire du Nouveau-Brunswick qui met en lien la daguerréotypie avec le temps long des dommages environnementaux[1], le travail de Francis O’Shaughnessy qui utilise la technique photographique du collodion humide ou encore les ambrotypes de la photographe américaine Sally Mann. Pour nombre de ces artistes, la pratique de la photographie en chambre noire, qui implique la multiplication des étapes de réalisation, la matérialité de la caméra ainsi que le temps long de prise impliquent des stratégies narratives et artistiques désirables et différentes du numérique. Sean Hawkey, un photographe utilisant le collodion humide, exprimait son désintérêt pour la photographie numérique et son goût récent pour sa technique de prédilection de la manière suivante : « I like the idea of leaving the computer behind and producing a photo without any digital technology at all […]. I found it very satisfying to go back and look at the craft of producing photographs[2] ». Au XXIe siècle, pratiquer la daguerréotypie se présente alors comme un réinvestissement de l’histoire de la photographie, ironiquement doublée d’un goût pour des processus et des expériences photographiques nouvelles.

Maryse Goudreau, Autoportrait sans titre, 2012, photographie au daguerréotype Becquerel, 22,6 × 29 cm, collection privée.

La compagnie Lomography a justement fait son nom grâce à la réinvestigation non seulement de l’histoire de la photo mais également du cinéma. Outre les caméras lofi qui renvoient au monde soviétique et à l’âge d’or du cinéma, et auxquelles on associe normalement Lomo, la compagnie s’est cette fois tournée vers la France du XIXe siècle pour évoquer les origines de la photographie, en l’occurrence, l’objectif Daguerreotype Achromat. Cet objectif (à distance focale de 64 mm) peut être utilisé avec des appareils tant analogiques que numériques et permet à l’utilisateur de choisir un rapport d’ouverture allant de f/2.9 à f/16. Par ailleurs, Daguerreotype Achromat fait écho à la fois à l’ancien procédé photographique (daguerréotypie) et au type de verre utilisé à l’époque des premières expériences photographiques (l’achromat). Lomography renvoie d’ailleurs à l’histoire de la famille Chevalier, reconnue au XIXe siècle pour la qualité de ses produits optiques, en particulier leurs objectifs pour camera obscura. Vincent Chevalier avait inventé les premiers objectifs achromatiques (ou achromat) qui servaient à réduire les aberrations chromatiques qui se produisaient au moment où la lumière traversait la lentille. L’objectif de Lomo promet justement de recréer ces aberrations, qui donnent lieu à des images floues aux contours irisés.

C’est d’ailleurs à cette famille, en particulier au fils de Vincent, Charles, que fait référence Lomography, dans la thématisation rétro de cet objet : « The Daguerreotype Achromat is directly inspired by the world’s first photographic optic lens—a 19th century invention created by Charles Chevalier for the Daguerreotype camera… ». Au cœur du discours publicitaire entourant l’objet, on met l’accent sur la possibilité de produire des images imitant les effets photographiques bien en vogue dans la photographie pictorialiste, ce mouvement des XIXe et XXe siècles. Pensons à l’éthéré (« otherworldly glow » ou « dreamy imagery ») ou encore au bokeh, ce flou emblématique des photographies artistiques de l’époque : « drape your world in silky soft focus… Master light, diverse moods, and dramatic special effects ».

Grâce à l’insertion de plaques d’ouverture dans l’objectif de la caméra Lomo, l’utilisateur est alors en mesure de créer des images qui renvoient à la culture visuelle du XIXe siècle et, plus spécifiquement, à ses explorations artistiques de la lumière comme matériau. Les plaques Lumière, nommées évidemment d’après les instigateurs des débuts du cinéma ou encore les Aquarelle Waterhouse (d’après le peintre préraphaélite) procureraient des effets de lumière que l’on compare aux œuvres de Monet : « They turn natural-light photographs into paintings, adding dashes of light and mimicking wet-on-wet techniques of Impressionist paintings ».

Comme Lomography met de l’avant l’adaptation, la modernisation, voire le caractère neuf du Daguerreotype Achromat (« This new Art Lens is our popular reinvention of Charles Chevalier’s 19th century optical design as you’ve never seen it before »), on soulignera qu’il s’agit ici d’une reprise matérielle partielle des premiers objectifs utilisés par Daguerre et Niépce. La forme générale des objectifs ainsi que l’emploi de matériaux comme le cuivre évoquent une connexion visuelle plutôt générale entre les deux objets. Or, l’objectif qu’avait employé Niépce lors de la prise du célèbre Point de vue du Gras était constitué de deux lentilles biconvexes et avait un rapport d’ouverture de f/2, tandis que celle de Lomo a un rapport allant de f/2.9 à f/16. Plus encore, comme il a été évoqué plus tôt, on propose de recréer les aberrations optiques que Vincent et Charles Chevalier avaient pourtant voulu corriger avec leurs objectifs. Aussi, peut-être est-ce du fait que l’objectif de Lomo se rattache à une caméra plutôt que de constituer l’objectif principal de l’appareil (comme dans le cas de la chambre à tiroir de Niépce et Daguerre) que Lomo peut proposer son Daguerreotype Achromat sous la forme d’une fiction, « Revived with 21st Century Versatility », qui permet l’option du « silky soft focus » ou encore du « razor-sharp definition ». Les modalités du rétro du Daguerreotype Achromat ne peuvent évidemment qu’être partielles puisque l’objectif n’est qu’un aspect du processus éponyme : contrairement aux images prises avec cet objectif, les daguerréotypes prenaient jusqu’à 20 minutes de temps de pose et étaient développées sur des surfaces métalliques, résultant en des images lustrées et réfléchissantes telles des miroirs. Pour Lomography, c’est par l’alliage du discours et de la reprise matérielle partielle qu’il devient possible de recréer la culture visuelle du XIXe siècle : « The Daguerreotype Achromat 2.9/64 Art Lens is a revival of this lost aesthetic from the invention of photography ».

Notes

[1] Rob Nixon soulignait la difficulté d’illustrer les changements environnementaux puisqu’ils sont constants et graduels : ce qu’il appelle une violence lente (slow violence) trouverait alors son adéquation non dans les rapides caméras numériques, mais bien dans les techniques photographiques qui prennent elles aussi un temps long (à l’instar de la daguerréotypie). Voir Nixon, Cambridge (MA), Harvard University Press, 2011.

[2] https://archive.nytimes.com/lens.blogs.nytimes.com/2015/01/07/taking-time-to-mine-portraits/.