Kodachrome: (Mark Raso, 2018)

Kodachrome est le titre d’un film produit par et diffusé sur Netflix en 2018, réalisé par Mark Raso. Le film est inspiré par un article paru dans le New York Times au sujet de Steve McCurry, le célèbre photo-reporter[1]. Il met en vedette Ed Harris  interprétant Benjamin Asher Ryder, un photo-reporter de renom, amer et colérique, qui, atteint d’un cancer, se lance dans un road trip pour aller développer des rouleaux de pellicule Kodachrome chez Dwayne’s Photo, le dernier laboratoire autorisé à développer la célébre pellicule, avant qu’il ne soit trop tard (avant qu’il ne meure, avant qu’il ne puisse  développer ses photographies). La vie du photographe se confond, on l’aura compris, avec l’existence de la pellicule Kodachrome qui, tout comme la sienne, s’achève.

La secrétaire de Ryder parvient à convaincre le fils de ce dernier – qui entretient une relation très conflictuelle avec son père, à qui il reproche de n’avoir pas été présent et de ne l’avoir pas « regardé » durant toute son enfance – de faire ce voyage « analogique » à travers le pays (ils conduisent une vieille voiture, le père lance le téléphone cellulaire du fils par la fenêtre, il discourt à qui mieux mieux au sujet de la magie de l’argentique et du caractère mortifère du numérique, etc.) Le photographe mourra le jour où Dwayne’s Photo développera les ultimes bobines de films, laissant en héritage à son fils une série de clichés que ce dernier visionnera sur un carrousel à diapositives (objet par excellence de la nostalgie et de la fuite incontrôlée du temps, depuis au moins l’épisode mythique de la première saison de Mad Men). Ce que le fils découvre sur ces diapositives, ce sont des images de son enfance, de sa famille alors unie, de sa mère, d’une idyllique – et sans doute factice – image de sa propre enfance, enveloppée dans les couleurs du Kodachrome. Le film se termine sur l’image du fils rejoint par la secrétaire du photographe. Ils pleurent devant le défilé des photographies, réconciliés avec le passé, et avec le père, grâce à la médiation de la célèbre pellicule qui semble suturer les aspérités et guérir les blessures.

Cet exemple est éloquent d’une dimension curative de la nostalgie et du média, sur laquelle plusieurs chercheurs et chercheuses se sont d’ailleurs penchés et qui souligne que, plutôt que d’être une maladie dont il faut guérir, la nostalgie pourrait être un remède pour redonner du sens à la vie[2]. L’acte de « nostalgiser », c’est-à-dire de se plonger dans le passé et de ressentir l’émotion douce-amère que procure la nostalgie, permettrait à l’évidence dedonner un sens et de la valeur après coup à un passé qu’on avait négligé, qui était resté enfoui, dans l’ombre, non développé (comme on le dirait d’un film ou d’un cadeau). En effet, comme le veut le slogan publicitaire du film de Mark Raso : « Over Time, Everything Develops ».

Notes

[1] A. G. Sulzberger, « For Kodachrome Fans, Road Ends at Photo Lab in Kansas », The New York Times, 29 décembre 2010, https://www.nytimes.com/2010/12/30/us/30film.html.

[2] Sur la valeur curative, et plus généralement potentiellement positive de la nostalgie, voir Davis 1977, Sedikides, Wildshut et al. 2015, Boym 2001 et Niemeyer 2014.