Présentation
Kodachrome Elegies est un film de réemploi réalisé par le cinéaste Jay Rosenblatt. Présenté en première mondiale à Visions du réel, à Nyon, en 2017, le film est conçu comme un hommage au Kodachrome.
Description
D’une durée de dix minutes, Kodachrome Elegies est structuré en trois parties : 1. « The Color of Memory »; 2. « The Color of Dreams »; 3. « The Color of Blood ». La première partie est constituée de films réalisés par la famille du cinéaste, en 8 mm (les films sont attribués, au générique, à Jerome et Roberta Rosenblatt). On y retrouve le père et la mère Rosenblatt, avant et après la naissance du cinéaste. On y voit des scènes quotidiennes se déroulant dans le salon familial ou encore à la plage, légèrement ralenties. Dans l’une d’elles, M. et Mme Rosenblatt ainsi que deux autres femmes, au rouge à lèvres éclatant, jouent avec une banane jaune (le rouge et le jaune sont deux couleurs dont l’éclat particulier est caractéristique du Kodachrome). La seconde partie du court métrage est composée de brefs extraits de films « commerciaux » de nature très diverses (éducative, promotionnelle, scientifique), cousus par la logique du montage (un plongeur voit notamment son mouvement continué par un autre plongeur dans la scène suivante, etc.), par l’assonance poétique et par des affinités visuelles. Alors que le genre est sensiblement différent, c’est à chaque fois le même rouge, le même jaune, le même bleu, celui du Kodachrome, qui caractérise ces films et assure leur liaison.
C’est aussi l’aspect pédagogique de l’essai de Rosenblatt : tel film de dissection, tel guide pour cuisiner un roastbeef, tel film éducatif sur le baseball, tel travelogue vantant les balades en kayak dans le Nord canadien, tel film promotionnel, tel essai nucléaire au Nouveau-Mexique, tous ont été tournés, sensiblement à la même époque (soit les années 1940-1950), en Kodachrome. Ces images défilent lentement, comme extraites des crevasses d’une mémoire collective oubliée, comme arrachées aux profondeurs d’un rêve ou d’un cauchemar, sur le languissant quatuor à cordes no 15, opus 132, de Beethoven.
La troisième et dernière partie du film, « The Color of Blood », composée d’une seule séquence d’images au ralenti, jette un voile sombre sur toute cette élégie mélancolique. Il s’agit très certainement de l’image Kodachrome la plus connue, la plus commentée, la plus vue, la plus analysée de l’histoire du cinéma. Il s’agit des 486 photogrammes (26 secondes) de pellicule Kodachrome II tournés à l’aide d’une caméra 8 mm Bell & Howell appartenant à Abraham Zapruder, le 22 novembre 1963, à Dallas, montrant l’assassinat du Président John F. Kennedy, et incarnant, dans les couleurs les plus éclatantes, la fin d’une certaine innocence.
Réception
Après sa première à Nyon, le film a été présenté dans plus de 20 festivals internationaux.
En juin 2009, la compagnie Kodak annonce la fin de la production du film Kodachrome. Ayant recours, comme très souvent dans sa pratique, aux images d’archives, Jay Rosenblatt s’attelle au récit d’une période désormais révolue, d’une Amérique du Nord à jamais transformée. Entre des parenthèses évoquant la matérialité même de la pellicule, les histoires se déroulent, petites et grandes, sous la forme d’un triptyque composé en chapitres. Derrière une dimension poétique essentielle, exacerbée par le titre et par le recours à la musique dans la bande sonore, s’esquisse un point de vue profondément personnel. Ces élégies, si elles sont réalisées à partir de matériel existant (d’une nature particulière toutefois dans ce cas, mais nous n’en dirons pas davantage pour préserver les secrets du film), témoignent avant tout du regard de Rosenblatt. Si l’on reconnaît un plan apparaissant également dans la fameuse Rabbia (1962) de Pier Paolo Pasolini, sans doute l’élan poétique du cinéaste américain est-il plus nostalgique, à l’instar des couleurs Kodachrome jadis brillantes.
Emilie Bujès, Visions du réel, 2017