Red Dead Redemption: (Rockstar Studio, 2010-2018)

Contexte

Red Dead Redemption est une série de jeux comportant deux épisodes sortis respectivement en 2010 et 2018. C’est le studio Rockstar, responsable notamment de la série Grand Theft Auto (GTA), qui est à l’origine de cette série que l’on peut définir comme un jeu à monde ouvert se déroulant dans un univers western. Connu pour sa narration environnementale proposant une diversité d’activités autour des missions principales qui ont pour but d’offrir au joueur une expérience d’exploration tournée vers l’idée d’immersion dans un univers cohérent et vivant, le studio Rockstar propose ici une reconstitution extrêmement détaillée du Grand Ouest américain de la fin du XIXe siècle. On trouve ainsi de nombreux clins d’œil aux technologies de l’époque; le joueur découvre notamment l’apparition des premières techniques photographiques ainsi que le début du cinéma avec des séances de cinématographe.

L’époque choisie, qui réfère à la fin de la Conquête de l’Ouest (1899 pour le premier opus et 1911 pour le suivant), sert à des fins dramatiques, pour introduire une atmosphère mélancolique dans laquelle les personnages ̶– des cowboys sur le déclin – voient leur ère s’éteindre pour laisser place à l’industrialisation des États-Unis. Dans cet univers, se côtoient ainsi les jeux de carte et autres activités « traditionnelles », et des attractions qui signalent la naissance d’une nouvelle époque comme des projections de lanterne magique et des représentations de cinématographe. Le joueur découvre ainsi de nombreux espaces de projection et différents appareils permettant de soutenir la cohérence de l’univers, sans parler des intrigues mettant en scène des références directes au cinéma et à la photo.

Description

Références cinématographiques

Dans le premier épisode, l’élément le plus évocateur de la naissance du cinéma est la mission intitulée « Light Camera Action », durant laquelle le joueur rencontre D.S. MacKenna, dont le rêve est de développer un studio de cinéma dans les plaines désertiques de la région. Le jeu se déroulant dans la région de l’actuelle Californie, on comprend que ce fantasme fait référence à la naissance d’Hollywood, bien que le propos soit quelque peu anachronique puisque le ranch éponyme qui donnera naissance à la ville fut fondé en 1880 par le couple Wilcox. La mission invite le joueur à convaincre l’acteur principal du film de MacKenna de retourner sur le tournage. Plus tard, on retrouvera MacKenna dans une mission intitulée « Filth and Other Entertainment » où il s’agira cette fois-ci de rassembler des zombies dans un décor, pour permettre au réalisateur de filmer une scène. À l’issue de cette mission, ce dernier est tué par les zombies en question. Il est également intéressant de noter que le design du personnage de MacKenna est inspiré par celui de Daniel Plainview joué par Daniel Day Lewis dans le film There Will Be Blood (2007) de Paul Thomas Anderson. Cette intertextualité met en évidence le rapport qu’entretien Red Dead Redemption au genre du western. En effet, le film d’Anderson se présente lui-même comme une renaissance tardive de ce genre qui regagne une certaine popularité au début des années 2000 avec des films comme No Country for Old Men (Joel et Ethan Cohen, 2007) et, bien qu’il tienne un discours plus critique, Brokeback Mountain (Ang Lee, 2005). Ainsi, le jeu vidéo de Rockstar s’inscrit dans un rapport nostalgique au genre du western qui est caractéristique de la mode alors en vigueur au moment de sa production.

Ce rapport nostalgique est visible dans de nombreuses scènes dont la mise en scène et le scénario sont directement inspirés des tropes du genre western. On trouvera ainsi des bagarres de saloon, des attaques de train et des duels durant lesquels la présence de caméras ajoute un effet cinématographique. Dans le deuxième épisode, on retrouve cette fois un mode de caméra « cinématographique » qui, à la simple pression d’un bouton, permet de quitter la vue semi-subjective classique du jeu pour suivre notre personnage à distance. Deux bandes noires transforment le jeu en cinémascope et la caméra met en place un montage automatique qui permet de romancer et dramatiser les longues traversées du désert.

Dans ce deuxième épisode, un soin tout particulier est également apporté aux salles de cinéma, afin que ces espaces de projection soient conformes à l’époque. Dans les petites villes, on trouve notamment des chapiteaux à l’intérieur desquels sont présentés des spectacles de lanterne magique, tandis que dans les grandes villes des salles proposent cette fois des séances de cinématographe en parallèle de leur programmation de théâtre et de spectacles burlesques. Ces différents éléments témoignent d’une volonté de cohérence du monde fictionnel qui encourage l’immersion du joueur dans le fantasme d’un monde passé. Cette attention accordée aux détails est telle que les appareils employés pour les projections sont directement inspirés de machines réelles.

Place réservée à la photographie

Dans Red Dead Redemption, la photographie est traitée avec autant de précision que les références cinématographiques, mais son implication scénaristique est beaucoup plus importante puisque le joueur est lui-même amené à prendre des photographies pour progresser dans le jeu. C’est principalement le deuxième épisode qui met l’accent sur ce médium, comme le montrent les écrans de chargement qui prennent la forme de ferrotypes qui se révèlent progressivement. À différents emplacements du jeu, on trouve ainsi le personnage d’Albert Masson, un photographe itinérant qui serait inspiré de George Shiras III. Muni d’un appareil à soufflet grand format (imitant visiblement une caméra Century Petite), Masson nous demandera de l’aide pour ses mises en scène, à la manière de D.S. McKenna.

La mission « Gunslinger », offerte dans le deuxième épisode, introduit également la possibilité pour le joueur de prendre ses propres photographies. Ce dernier, qui se voit offrir un appareil de type box camera ressemblant à une Kodak Brownie de première génération, est invité à parcourir la région pour photographier les derniers grands gunslingers. Outre la quête annexe qui lui est associée, cette acquisition lui donne la possibilité de prendre une photographie à n’importe quel moment du jeu et, par conséquent, de justifier la présence d’un mode photo. Ce dernier donne accès à différents filtres qui émulent des techniques photographiques anciennes. On peut ainsi appliquer sur la photographie un effet daguerréotype, ferrotype ou encore tirage au charbon. Le joueur peut également simuler l’effet de profondeur de champ, l’intensité du flou d’arrière-plan, le zoom ou encore l’exposition. Ces options, bien qu’elles manquent de cohérence puisque la box camera du joueur ne pourrait pas réellement permettre une telle souplesse dans la prise de vue, font du mode photo du jeu l’un des plus complet à sa sortie. Les photographies prises dans Red Dead Redemption permettent également de développer des interactions entre les joueurs qui partagent leurs créations, que ce soit au sein du jeu ou sur divers réseaux sociaux.

La photographie est d’autant plus centrale dans cet épisode qu’elle est l’un des éléments importants de la conclusion du jeu. En effet, l’avant-dernière mission de la quête principale, intitulée « A new future imagined », propose au joueur de passer une journée avec Abigail, la compagne de John Marston (protagoniste du premier épisode et personnage jouable dans le second). Cette promenade amoureuse se passe principalement chez le photographe Benjamin P. Lockhart Jr., chargé d’immortaliser le couple avec son appareil très grand format. On prend ainsi le temps d’explorer le studio photo de Lockhart Jr. et, durant cette visite, une discussion s’engage entre les membres du couple, au moment où le photographe quitte la pièce pour se rendre dans sa chambre noire développer le portrait. Une fois l’image produite, John et Abigail se dirigent alors vers le théâtre, pour une séance de cinématographe. Ces deux moments soulignent, une nouvelle fois, la transition de l’univers western vers l’époque industrielle, tout en introduisant une certaine dimension nostalgique. Le joueur est ainsi confronté au début de l’ère moderne, voyant tout au long de l’aventure le héros qu’il incarne quitter sa vie de cowboy pour s’adapter au monde citadin.