Stardew Valley: (ConcernedApe, 2016)

Mise en contexte

En 2016, le jeu Stardew Valley d’Eric Barone est officiellement publié en ligne et devient rapidement un succès. Depuis quelques années[1], le créateur planchait sur ce projet de simulateur de ferme qui, en plusieurs points, ressemble au jeu Harvest Moon (Amccus, 1997) paru sur la Super Nintendo Entertainment System (qui deviendra une franchise à part entière). Si l’idée de farming était déjà présente dans plusieurs jeux (battre des monstres en série pour accumuler des points d’expérience, repasser dans une même zone pour accumuler des items, etc.), les jeux tels que Stardew Valley qui reprennent le jardinage ou l’agriculture au cœur de leur jouabilité sont plutôt rares, comme en témoigne la liste relativement courte du genre « Simulation – Farming » sur MobyGames (qui dénombre 69 titres).

Le jeu débute par une courte séance d’introduction, dans laquelle on présente le personnage principal[2] aliéné par son travail nécessitant d’être derrière un écran d’ordinateur.

ConcernedApe. 2016. Stardew Valley. Pour Windows 10 (Steam). Archives personnelles.

Une opportunité se présente à nous (on devine, pour trouver un sens à notre vie) : notre grand-père nous a légué une ferme (qui demande beaucoup d’amour). À partir de ce moment, comme dans le jeu Harvest Moon, le joueur est laissé à lui-même (sans véritables instructions). Il est libre de ses actions. Par conséquent, il peut se fixer des objectifs de jeu, tels que produire des légumes, réparer et améliorer des bâtiments de ferme, explorer les environs ou entrer en relation avec les habitants et habitantes du village.

ConcernedApe. 2016. Stardew Valley. Pour Windows 10 (Steam). Archives personnelles.

Le rêve d’une vie plus simple

Je me suis laissé prendre au jeu, au point où j’avais mal au poignet à force de cliquer sur ma souris pour que le personnage gratte le sol, plante les semences, arrose, récolte les fruits et légumes ou s’occupe des animaux de ferme. Pendant les premières saisons, j’étais entièrement concentré sur la partie « production » du jeu, multipliant les quêtes et les récoltes au détriment des relations avec les villageois. Ou mon propre bien-être physique en tant que joueur : je n’étais pas du tout dans l’observation, et je ne profitais pas de la portion méditative mise en place par le jeu. Ce qui est plutôt ironique, lorsque l’on considère la séquence d’introduction du jeu : c’était maintenant moi qui étais « pris » devant mon écran[3].

Lavigne, Francis. 2022. « Stardew Valley – petite visite ». YouTube, 3 avril. https://youtu.be/4kt796tfBSo.

Stardew Valley se rapproche de l’idée de homesteading, c’est-à-dire d’autosuffisance, un style de vie que l’on pourrait qualifier de rétro ou de nostalgique (puisqu’il est en lien avec le retour à la nature et à la terre). En grande partie nourri par un besoin de travailler très dur pour arriver à monter un projet économiquement viable, ce mode de vie marque différents projets de microfermes que je piste depuis quelques années. On retrouve ce genre le discours dans les chaînes YouTube telles que Just a Few Acres Farm (2019-présent), Gold Shaw Farm (2016-présent), Justin Rhodes (2012-présent) ou, plus près de chez nous, les projets de fermes présentés dans la série Les Fermiers (2018-2019) ou Un chef à la cabane (2013-présent). Au fil des vidéos, le travail à la ferme est présenté comme une opportunité de se (re)trouver et de s’enraciner, à travers la multitude de tâches qu’il impose aux personnes désirant mener à terme des récoltes en fonction de temporalités naturelles (le rythme des jours et des saisons). L’autosuffisance, même partielle – pour paraphraser Mark Valancia, jardinier derrière la chaîne Self Sufficient Me (2011-présent) –, est considérée comme un moyen de reprendre le contrôle de sa vie.

Enfin, sans renier l’idéal d’autosuffisance, les personnes (et les entreprises) dont je regarde les (més)aventures en ligne sont conscientes de vivre en relation avec un ensemble d’acteurs. Leurs projets de fermes ne s’effectuent pas dans des systèmes hermétiques. Des bactéries du sol en passant par leurs familles, leurs communautés et leurs clientèles, ils ont conscience d’être actifs au cœur d’un réseau d’acteurs interconnectés. Les vidéos des fermiers et homesteaders, ainsi que le jeu Stardew Valley offrent une occasion aux spectateurs et joueurs de réfléchir à la place qu’ils occupent au sein d’écosystèmes (tels que celui de la ferme ou des industries agricoles nord-américaines) et aux impacts qu’ils causent sur ces derniers. Cette vision de la société, c’est-à-dire une dans laquelle ses membres sont conscientes de ces interconnexions, pourrait être qualifiée de nostalgique.

Également, la célébration des petites choses du quotidien et l’apparente simplicité (notamment dans les gestes à effectuer) participe au sentiment de nostalgie. Les YouTubeurs mentionnés précédemment et Stardew Valley proposent un mode de vie à l’opposé du monde moderne, dépeint comme froid, détaché et complexe. Un monde qui ne permet pas une véritable relation avec l’environnement et ses habitants.

Réception

Simple en concept, mais riche en profondeur, le jeu vous plongera dans un monde fictif riche dans lequel vous vous sentirez facilement émotionnellement investi. Pour d’autres plus à la recherche de sensations fortes ou de gameplay compétitif, ce jeu n’est pas ce que vous cherchez. Mais si vous vous sentez d’humeur à ralentir, Stardew Valley est un jeu qui ne vous décevra pas.

Gilles-Philippe Giroux, « Critique – Stardew Valley », Jeux.ca, 19 décembre 2016, https://jeux.ca/tirage-du-mois-stardew-valley/.

Stardew Valley is definitely rough around the edges, but that didn’t matter when I was fishing on a little pixelated pier, or making friends with a homeless person in a tent. Its imperfections never damage that feeling of gentle escape to the countryside. They never made me love my farm dog any less, or made me want to put down my hoe and return to the office. I might be a long way off getting an actual farm, but Stardew Valley makes for a good start.

Daniella Lucas, « Stardew Valley Review  », PC Gamer, 26 février 2016, https://www.pcgamer.com/stardew-valley-review/.

Despite the system’s simplicity, it’s still rewarding to learn about each person’s dreams, passions, and challenges living in Stardew Valley. There’s a friendly monster who just wants to sell his merchandise to nice people, an artist who’s a little too shy to share her artwork, a bitter old man who’s hesitant to make connections, a scientist who studies the valley’s wildlife, and plenty other interesting folks. […] Farming isn’t overly complex, but the methodical nature of it is relaxing.

Miranda Sanchez, « Stardew Valley Review 2018 », IGN, 7 août 2018, https://www.ign.com/articles/2018/08/07/stardew-valley-review-2018.

Notes

[1] À ce propos, le journaliste d’enquête Jason Schreier consacre un chapitre complet sur le développement du jeu Stardew Valley, à travers des entrevues avec Eric Barone et Amber Hageman, dans son livre Blood, Sweat, and Pixels (HarperCollins, 2017).

[2] Le personnage principal est une coquille vide. Au début du jeu nous pouvons modifier son apparence et son nom. La narration est minimale dans le jeu. Sauf quelques animations, l’histoire se construit autour des dialogues avec les autres habitants du village situé près de la ferme.

[3]  Évidemment, une fois que j’ai réalisé cela mon regard sur le jeu a changé du tout au tout. Par la suite, j’ai savouré les changements de saisons, les dialogues, la musique relaxante, les animations et la qualité des dessins (près du pixel art). Bref, le temps de jeu comme temps à soi (et pour soi) est mis à l’honneur. En discutant de cela avec mes amis, il semble que l’on soit tous passés par le même processus de réflexion.