Ektachrome is Back

Présentation

« Ektachrome is Back » est une publicité réalisée par Kodak pour annoncer le retour de la pellicule Ektachrome en format 35 mm et super 8. Sortie au mois de septembre 2018, suite à une première annonce faite en janvier 2017 lors du Consumers Electronic Show, puis à nouveau dans l’édition de 2018 du CES, la publicité présente ce « retour » de l’Ektachrome dans la continuité de ces pratiques que l’on croyait perdues mais qui tendent à revenir « depuis quelques années ». La pellicule Ektachrome avait été discontinuée par Kodak en 2012.

Contexte

« Ektachrome is Back » s’inscrit dans une vaste offensive lancée par Kodak en janvier 2016 sous la bannière de l’« Analog Renaissance ». Cette offensive implique le lancement de la nouvelle caméra Super 8 (annoncée en 2016 et toujours pas commercialisée en 2022), d’un magazine papier (Kodachrome, 2 numéros publiés en 2017 et 2018), d’un podcast (The Kodakery, 22 décembre 2015-12 novembre 2019), d’une application mobile (Reel Film) et de divers partenariats et collaborations avec des compagnies comme Girl Skateboard Co. (voir la piste sur la nouvelle caméra super 8 de Kodak).

La pellicule Ektachrome est une pellicule inversible introduite dans les années 1940 pour les photographes amateurs et professionnels désireux de développer eux-mêmes leurs photos (le processus de développement de l’Ektachrome, comparé à celui du Kodachrome, est plus simple et ne requiert pas autant d’étapes). Une pellicule photo 35 mm plus rapide fait son entrée en 1959 (160 ASA), en 1965 en 16 mm et super 8, puis en super 8 en 1971 (160 ASA). Il existe une grande variété de pellicules, ayant des vitesses et des caractéristiques distinctes (comme pour le Kodachrome) qui ont été regroupées sous le nom « Ektachrome ». Devant la baisse de la demande, et malgré le caractère « iconique » de l’Ektachrome (c’est la pellicule utilisée par Neil Armstrong et Buzz Aldrin en 1969 pour leurs photos prises sur la Lune; c’est également une des pellicules les plus utlisées par les photographes du National Geographic), Kodak a graduellement discontinué l’Ektachrome (après le Kodachrome en 2009) entre 2007 et 2012.

Lors du Consumer Electronics Show de 2017, on annonça le retour d’un Ektachrome 100D (en 35mm), puis, à nouveau, au CES de 2018, fut annoncé le lancement de l’Ektachrome en 35 mm (Ektachrome E100) et super 8 (100D, 7294) qui sortirent entre septembre et novembre 2018. Le 16 mm est disponible depuis octobre 2019.

Description

 

 

La publicité débute sur une tonalité mélancolique. Des plans désaturés nous montrent des individus fouillant parmi des vinyles, une platine tournant dans la poussière, une jeune femme lisant un livre dans le métro, une pellicule 35 mm photo se faisant charger dans une caméra, un jeune homme filmant sur une plage. Une voix off explique :

Over the last few years, we’ve seen a lot of things coming back. Things we thought we’d lost to the convenience and ubiquity of digital technology. As a new generation discovers, and another remembers, what was lost has been found. The analog renaissance is here. And now Kodak is proud to announce the return of one of the most iconic film stocks of all times. […] We’re bringing it back.

Cette « renaissance de l’analogique », comme la publicité le suggère, ciblerait moins la « génération qui se souvient » que celle qui « découvre » et devant qui s’ouvre, littéralement, un horizon de promesses colorées (feux d’artifices, couchers de soleil, paysages exotiques, courses palpitantes, fleurs éclatantes).

 

Contenu et modalités du rétro

Le retour de la pellicule Ektachrome est englobé dans la continuité de toutes ces « choses » qui reviennent. Tournée très certainement en pellicule, la publicité met de l’avant le grain du film. Elle présente des objets « rétro » comme les disques vinyles, les tourne-disques, les caméras photos argentiques. Elle se construit aussi en fonction d’une évolution chromatique qui suit le récit de la « renaissance ». Si le début de la publicité apparaît en couleurs plutôt désaturées (pour accentuer le caractère vieillot, gris, poussiéreux des objets représentés), à mesure que la publicité avance on peut voir une teinte légèrement bleutée (caractéristique de l’Ektachrome) envelopper l’image au point de la « filtrer ». C’est ce « bleu » Ektachrome, passant par l’œilleton du jeune homme filmant sur la plage, qui déclenche une sorte de diaporama accéléré des possibilités (photographiques essentiellement) de la pellicule (qui n’est pas sans rappeler les photographies typiques du National Geographic auxquelles l’histoire glorieuse de l’Ektachrome est associée). Le caractère iconique de l’Ektachrome est rabattu sur son iconicité chromatique (ce bleu, cette vivacité des couleurs sont l’Ektachrome).

Parmi les incongruités de la publicité, on pourrait remarquer que le jeune homme, d’origine asiatique, tient dans ses mains une caméra 8 mm (non super 8) E3L Brumberger des années 1950. Or, Kodak ne produit plus de pellicule 8 mm et encore moins en Ektachrome. C’est dire à quel point cette renaissance de l’analogique est souvent une question d’image, davantage que de réalité. Sur ce même principe, il y a lieu sans doute de se demander si ces photographies ont bel et bien été photographiées en Ektachrome.

Réception

Le retour de l’Ektachrome, pris en lui-même, fut accueilli avec grand enthousiasme par les amateurs d’argentique, retrouvant une pellicule inversible couleur de qualité. Le défi pour Kodak fut évidemment de reconstruire une pellicule (même si l’original avait été discontinué six ans plus tôt) dans un contexte où les chaînes d’approvisionnement de produits chimiques ont été modifiées, et que, dans certains cas, les ingrédients originaux sont impossibles à retrouver. De fait, la nouvelle pellicule a des caractéristiques qui l’apparentent davantage au Kodachrome sur le plan de l’intensité des couleurs et de la netteté. Le processus de fabrication de l’Ektachrome arbore une certaine mystique (avec ses 15 couches d’émulsion, la complexité des opérations qu’il mobilise), reconnaissable dans certains articles et compte rendus, comme celui de Stan Horaczek, « Inside the facility where Kodak brings film back to Life », Popular Science, décembre 2019. 

La réception de la pellicule fut remarquablement positive et a donné lieu à un nombre imposant de « tests » sur Vimeo et YouTube, ainsi qu’à des vidéoclips et à de courts films réalisés avec ce nouveau film. Nombre d’amateurs, bloggeurs et professionnels ont partagé leurs avis d’experts (photos ou films à l’appui), montrant bien que le retour de la pellicule est inséparable des nouveaux modes de mises en relation que permettent les médias numériques et les réseaux sociaux, mais aussi d’une expérience individuelle, d’une relation personnelle et d’une « pratique » du médium qui doit être performée. L’Ektachrome est souvent, dans ces vidéos, une façon d’afficher son amour de la pellicule et un style de vie. Comme quoi, l’adoption de médiums depuis longtemps obsolètes relève de la performance de soi et d’un certain culte de la distinction.